Ma première confrontation avec Dieu eut lieu alors que je portais encore des culottes courtes, ou plus exactement alors que je commençais à porter des pantalons. J'étrennais des pantalons neufs, cela peut paraître un pléonasme mais à cette époque, il m'arrivait d'étrenner des pantalons usés par d'autres. Parenthèse inutile à la compréhension du texte mais destinée à clouer le bec aux petits malins qui seraient fiers de déceler une incorrection... Bref, ce jour là, j'avais bravé les interdits pour aller jour en costume du Dimanche. Et là! Catastrophe! Quand on joue au football sur le trottoir faut toujours s'attendre au pire. Une chute venait d'ouvrir une brèche dans le tissu serré de mon habit. Je fermai les yeux, grimaçant à la douleur du genou écorché et j'appelai Dieu, en personne, à ma rescousse.
-Dieu, s'il vous plaît, je ne regarde pas, faites que mon pantalon se recouse tout seul! Ma mère va me tuer, et heu… je veux pas lui faire de la peine. Je ne dirais rien! Juré! Ne vous dérangez pas pour le genou, c'est pas grave, j'ai l'habitude.
Les yeux fermés je comptai jusqu'à cinq et portai mes doigts sur l'accroc toujours béant. Je me décidai alors à interpeller Dieu une seconde fois
-Dieu, s'il vous plaît, Je ne regarderais pas comme vous faites, mais réparez mon pantalon. Je vous jure que je construirais une église quand je serais grand et… je ferais ce que vous voudrez.
Je lui laissai encore cinq secondes, le temps qu'il répare. Pour quelqu'un qui vous construit un monde en une semaine ça me semblait suffisant. D'autant qu'avec une promesse jurée crachée pareille, le miracle était profitable. Une église contre un pantalon neuf, à huit ans, que pouvais-je promettre de mieux? Et bien non! Dieu ne l'entendit pas de cette oreille – a-t-il seulement des oreilles ?-. Le soir, je me couchais le genou couronné et le fondement vexé et humilié par la fessée.
Je n'ai pas pour autant mis en cause l'existence de Dieu. Et pourtant! Quel personnage assez minable refuserait un petit tour de magie pour sauver un gamin d'une correction? Non, voyez-vous, je ne doutais pas de Dieu grâce au football.
J'étais gardien de but de l'équipe de mon école, le goal comme on dit, et à ce titre je jouissais d'une solide réputation: "Il n'a pas peur de s'escamper, le gonze" clamait à mon sujet l'entraîneur, qui peaufinait ses stratégies à la buvette. Ce qui signifie, pour les non initiés au langage populaire du sud, que je ne dédaignais pas me coucher sur le ballon quand il se trouvait, à ma portée, dans les pieds d'attaquants belliqueux. Ma belle assurance était cependant entamée lorsque la balle échappait à mon contrôle. Là, en un éclair je lançais une prière déchirante: " Dieu! Faites qu'elle passe au-dessus!". Et ça fonctionnait souvent, d'abord j'étais grand pour mon age et agile et surtout parce que Dieu adore le foot..
Pensez-donc, s'il a fabriqué le monde en travaillant comme un forcené pendant une semaine, c'est bien pour aller au stade le dimanche, aller voir jouer l’OM non? Enfin je voyais ça comme ça à l'époque. D'ailleurs beaucoup de gens humbles vivent ainsi, et Dieu les humbles, il est pour et surtout fait pour.
Depuis j'ai souvent réfléchi et je suis convaincu de l'exactitude de mon raisonnement. Avez-vous remarqué que les nations qui nourrissent une passion immodérée pour ce sport sont surtout des nations chrétiennes? Regardez ces latins et latinos toujours prêts à élever au rang de Dieu du stade des footballeurs de talent en les auréolant d'un ballon rond. Et même, avec un brin de malice, je pense que Dieu est chauvin: à ma connaissance aucune équipe d'une autre confession n'a gagné la coupe du Monde. Surtout pas des pays communistes !
Bref, je conservais la foi grâce à mes exploits sportifs et à la maladresse de mes adversaires. En deux mots, Dieu était dans nos buts. Notre équipe volait de succès en victoires, même aux dépends des écoles religieuses, chose que j'avais du mal à comprendre. Mais tout me fut révèle par Monsieur le curé durant une séance de catéchisme. Séance qui finissait toujours aux tirs au but. Ce brave curé m'enseignât en shootant comme un malade que Dieu était partout, voyait tout, savait tout.
-comme un bon arbitre? Avais-je cru bon d'ajouter.
-Si tu veux, reprit l'homme d'une foi, le jour du jugement dernier il t'expulsera en enfer ou te recevra au paradis.
-Et le carton jaune c'est pour le purgatoire?
-Si tu veux dit l'homme une seconde fois.
Je m'inventais alors une version personnelle de la fin du Christ, qui entraînait son équipe de douze apôtres. Judas, remplaçant, le trahit à cause de cette terrible jalousie qu'éprouvent tous les joueurs sur le banc de touche.
Quant à Dieu, mon opinion était faite, je l'imaginais habillé en noir, un sifflet à roulette à la bouche et des genoux cagneux s'échappant d'un short trop grand.
Je pensais qu'il me favorisait en cachette à cause de cette vieille histoire de pantalon troué.
Aujourd'hui, je ne lui en veux pas du tout. Pense un peu: une église à construire!
Fin