
Mon papa n’avait jamais trop aimé les curés et dans les années cinquante, au plus fort de son combat pour la laïcité, je crois même qu’il était arrivé à s’en faire de véritables ennemis. Surtout avec celui de notre village.
A cette époque, les conflits entre Peppone et Don Camillo amusaient toute la France, enfin presque toute : « Fernandel a trop souvent le beau rôle » maugréait mon père. Il faut avouer que dans notre village, le maire et le curé s’entendaient comme larrons en foire. D’accord, je ne devrais pas présenter les choses de cette façon sinon on va m’accuser d’être partisan, mais de toute évidence l’écharpe et le goupillon faisaient bon ménage. Les seuls empêcheurs de prier en rond étaient ce petit homme d’instituteur, juif de surcroît, et ce satané représentant des parents d’élèves de l’Ecole Laïque qui n’envoyait pas son fils au catéchisme. Ensemble, ils dénonçaient régulièrement les subventions et les avantages accordés à l’école privée, aux dépens de la leur, la républicaine, la gratuite.
La vie locale était rythmée par les réunions de l’école laïque et leurs répliques officielles énoncées souvent dans les prêches dominicaux de monsieur le curé. Mon père pestait contre cette démarche anti-démocratique qui lui interdisait de « porter la contradiction ». Et mon papa fallait voir comment il te la portait la contradiction. Il n’hésitait jamais à prendre la parole, même devant un public hostile, risquant de se faire huer pour dire sa pensée. Je sentais bien, lorsqu’il trépignait sur sa chaise, que le débat allait vite monter d’un ton. J’étais là pour ça, comme tout le village d’ailleurs. Cette rivalité nouvelle ravivait quelques passions oubliées et en ces époques d’avant règne de la télévision, ce genre de spectacle déplaçait les foules. Mais paradoxalement, sa victoire la plus flagrante il ne l’obtint pas dans ces joutes oratoires publiques mais dans sa maison, chez lui, chez nous, presque à huis-clos.
Mon papa et notre voisin passaient leur temps à bricoler, et pour meubler intelligemment les soirées d’automne sans risquer les foudres de leurs épouses, ils avaient trouvé la solution imparable : préparer la crèche. Ils s’y prenaient deux mois à l’avance, investissaient et condamnaient notre salle à manger, une grande alcôve humide, en y entassant un amoncellement hétéroclite. Ce bric-à-brac de roues de vélo de différentes tailles, plus ou moins voilées, s’ornait de fils électriques multicolores, d’ampoules peintes, de courroies graisseuses, d’un carillon à cylindre musical et d’un vieux réveil déglingué dont le tic-tac martyrisé donnait un bruit d’outre espace… et des crises de nerfs à ma mère. « Quel fourbi » se lamentait-elle, sans pouvoir invoquer le bon Dieu très concerné par la Sainte Bricole.
Mais deux mois plus tard, tous les gosses du village, et surtout ceux de l’école catholique, venaient admirer la crèche musicale, tournante, illuminée et pour la première fois cette année… spatiale. Les deux compères inspirés par les exploits de la conquête de l’espace, avaient en effet osé ce tour de force blasphématoire d’inclure un spoutnik à la ronde des santons ! Ce fut un réel succès, la maison ne désemplissait pas.
L’ingénieux mécanisme attira même des journalistes ; mon père et son complice, très fiers, expliquèrent les savantes combinaisons pour obtenir le clignotement, le mouvement, le minutage de l’exposition. Le spectacle comprenait plusieurs tableaux. Il ne démarrait, en principe, que si une pièce de monnaie était glissée dans la boite percée : « comme à l’église » rigolait mon père. Mais ce monnayeur sommaire n’était pas destiné à retirer du bénéfice, d’ailleurs il fut vite court-circuité car, après le final, l’opérateur était obligé de taper du poing dessus pour faire tomber la pièce et interrompre le contact et la représentation. La technique possédait tout de même des limites.
Ce succès amena chez nous un homme que nous n’attendions pas : Monsieur le curé. Ensoutané de rigueur, la barrette réglementaire posée sur le haut du crâne, il fit une entrée remarquée avec moult effets de robe. Lui aussi venait au spectacle, il osait défier le malin dans son « antre » comme il disait en chaire. Sans doute allait-il combattre le Belzébuth communiste à mains nues, sans eau bénite.
Nous lui avons alors réservé une séance de privilégié. Seul spectateur, il a pu admirer le travail, l’ingéniosité de ces matérialistes qu’il détestait. Mon père, un brin provocateur, lui repassa la séquence du Spoutnik. Dans la nuit artificielle, simplement éclairée d’étoiles recouvertes de papier « argent », récupéré dans l’emballage des tablettes de chocolat, une lueur traversait le ciel. Etoile annonciatrice ? Non, un bipbip infernal rappelait que c’était encore un coup des Russes. Mais le final revint à la tradition, un mini-projecteur, bricolé avec des cônes de bobines de fils et fixé au plafond venait, avec en fond musical le son aigrelet du carillon, éclairer la couche du petit Jésus. Notre petit Jésus.
La séance terminée, le prélat reprit de l’assurance et, un brin arrogant, demanda à mon père d’installer cette merveille dans l’église, sa crèche à lui ne faisant plus recette. Il essuya un refus poli mais ferme qu’il ne sut interpréter comme définitif. Il commit alors une grande faute en proposant de l’argent. J’ai senti d’un coup l’ambiance s’électriser :
« Il y a des choses qui ne s’achètent pas » tonna mon père « vous pouvez comprendre ça, non ! »
L’homme de foi détourna alors la conversation sur mon absence au catéchisme. Me promettant les flammes de l’enfer si je devais mourir sans y avoir mis les pieds. Enfin, il ne l’a pas dit ainsi, mais plutôt avec la persuasion d’un représentant en assurances qui sait rester aimable même si on ne signe pas de contrat. Puis il est parti, à la grande joie de ceux qui, impatients, attendaient la séance suivante.
Cette visite, commentée dans tout le village attira encore plus de curieux. Le spectacle s’agrémentait maintenant d’une séquence supplémentaire : la visite historique du curé. Mon père la concluait pas une réflexion de mon petit frère, qui une fois l’abbé parti demanda naïvement : « Pourquoi le monsieur il a un chapeau en forme de brioche ? »
Céjipé 27/12/2018 09:54
KARAK 27/12/2018 12:06
ti suisse 27/12/2018 09:11
KARAK 27/12/2018 12:08
loulou le filou 27/12/2018 08:20
KARAK 27/12/2018 12:02
Céjipé 26/12/2018 21:05
KARAK 26/12/2018 22:34
Le Mousquetaire des Mots 26/12/2018 20:53
KARAK 26/12/2018 22:32
eliane roi 26/12/2018 19:57
KARAK 26/12/2018 22:30