Nous nous sommes rencontrés dans le frigo, « réfrigérateur » corrigerait mon prof de français. Je l’ai vu là, corseté dans sa jolie boite ronde avec une belle étiquette rouge dessus. Le couvercle ôté, son parfum déjà m’enivra. J’enlevais le papier comme on effeuille une marguerite … Je t’aime un peu, beaucoup, passionnément… La blancheur immaculée de sa peau m’invita à la caresse. Quelle douceur, quelle rondeur parfaite juste contrariée par les plis de sa chemise de papier ! « La Belle Crémière » elle s’appelait. Je dis elle, mais j’ignorais finalement si le fromage était sexué. Camembert ou camenberthe ? J’optais pour le non choix, je n’avais pas l’intention de consommer, notre amour resterait platonique mais possessif. S’enticher d’un camembert ! Tu comprends pourquoi je n’en parle que cinquante ans plus tard. A l’époque j’aurais eu droit à la camisole, aujourd’hui à la reconnaissance artistique avant-gardiste. Cet « amour » avait cependant un avantage : je pouvais le porter sur moi et le faire suivre partout. A l’école, en plein cours je plongeais ma tête dans le cartable pour renifler son odeur afin d’oublier la monotonie de la leçon. Je prétextais la recherche de ma gomme et je gagnais le surnom de gommeux. Le soir sur mon bureau mon camembert m’aidait beaucoup pour les maths. Ah oui, j’oubliais de te dire, je parle couramment le camembert. Il se serait mis en quatre pour m’expliquer les fractions. Il m’instruisit sur les pourcentages, habitué qu’il était avec sa matière grasse. Pour la circonférence et le volume d’un cylindre, il était extraordinaire. Par contre pour le poids volumique, il m’expliquait que ça dépendait de l’humidité. Bref il m’était d’un grand secours et nos liens n’en devinrent que plus étroits. Mais à cet âge, les amitiés et amourettes sont parfois fugaces.. A SUIVRE