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19 mars 2021 5 19 /03 /mars /2021 19:41

« Mange moins vite ! Tu vas t’escaner ! »

Ma mère en avait de bonnes, avant, elle me reprochait ma lenteur à table, et aujourd’hui elle trouvait que j’étais trop rapide pour engloutir mon repas. Je dois avouer que je détestais la viande, ce qui pour mon père frisait le sacrilège. Pour lui le beefsteak, il disait « bistèque », représentait la quintessence du devoir paternel. Il avait souffert de la faim pendant la guerre  et considérait que sa responsabilité de chef de famille l’obligeait à nous offrir notre steak quotidien. Dieu se chargeait du pain blanc, et lui, en bon père communiste, rajoutait le rouge de la viande pour colorer nos joues.

 Comme je n’aimais pas ça, il acheta un petit pressoir en fer afin que je puisse me rassasier du jus, qu’il considérait comme indispensable à une bonne santé. Mon apprentissage d’enfant vampire  me bouleversait d’horreur. Ce sang tiède, auréolé de gras et au goût rouillé m’arrachait toujours des grimaces de dégoût. Mais en voyant mes parents se partager les maigres morceaux pressés qui ressemblaient à des bouts d’éponge séchée, j’eus un peu honte de mon caprice de « fils de riche », et à la grande joie de la famille, je devins carnassier.

« Pas si vite ! On va pas te le manger ! » insistait ma mère.

Pas si vite, pas si vite, les copains m’attendaient peut-être déjà dehors. L’école nous lâchait à onze heures trente et le rendez-vous était autour de midi, toutes les minutes gagnées deviendraient des instants de jeu supplémentaires.

Midi n’avait pas sonné que je me retrouvais dans la rue.

Mars bousculait février et le printemps pointait son nez. Les fins d’après midi étaient cependant encore trop fraîches et trop vite obscures pour que nos parents nous autorisent à batifoler après la classe. Le bon temps, il fallait le prendre maintenant, dans cet air vif et ce temps capricieux.

Sur la place il ne restait plus que le papè Lamy assis sur son banc. Comme je le rejoignais, une rafale de vent vint bénir notre rencontre. Une averse de quelques secondes nous aspergea de gouttes glacées. Papé Lamy, protégé par sa casquette montra le ciel d’un doigt tordu.

-« Marsetjo » déclara-t-il.

-« Quoi ? » caquetai-je.

-« Marsetjo » répéta-t-il. En lisant l’incompréhension sur mon visage, il continua :

-« Tu vois pitchot, l’avantage du provençal sur le français, c’est que tous les mots français, tu peux les traduire en provençal, mais que la langue d’Oc pour la traduire, le français il lui manque des mots, pardine ! Marsetjo, ça veut dire qu’il fait un temps de mars, mais si ça parle de quelqu’un ça veut dire qu’il perd un peu la ciboule… Elle est bonne cette idée de conjuguer un mois ? »

-« Heu.. Oui ! mais pourquoi mars ? »

-« Ah ! Ah ! Tu vois le mois de mars, c’est un mois qui sait pas ce qu’il veut ! il est un peu fada, Il est coincé entre l’hiver et le printemps et c’est la bagarre ! »

-« Comme au catch ? »

-« Pareil ! D’un coté, tu as le soleil, le ciel bleu, les nuages blancs, de l’autre le ciel gris tout moustous, la pluie, le froid, et au milieu, comme un arbitre, Monsieur le Mistral. Et tout ça boulègue, que ça te fait un mescladis  où les nuages noirs et blancs se courent après. Une rincette de pluie par ici, et un petit rayon de soleil par-là. Pareil que pour le catch quand ils sont si emmêlés que tu sais plus à qui est le pied du printemps ou le bras de l’hiver "

-« C’est rigolo ce que vous dites »

-« Plus rigolo que la grammaire française ? »

-« Oh !Oui ! »

-« C’est normal, moi je suis le grand-père provençal »

Il se mit à rire tout seul, alors que les douze coups sonnaient à l’horloge.

-« Vous allez pas à la soupe ? C’est midi ! »

-«  Mon pichou, je vis à l’heure ancienne moi, celle du soleil et il n’est que onze heures là-haut. Mais tu as raison, je vais m’avancer ; ma fille, elle, elle vit à l’heure nouvelle, alors on a coupé la poire en deux et je vais manger à la demie. Je te laisse la place chaude, tiens ! ».

Il se leva en souriant et répéta « la grammaire française et moi le grand-père provençal ».

De mon coté je me demandais comment les gens arrivaient à se nourrir avec la moitié d’une poire, ils devaient manger encore plus vite que moi.

A suivre

 

 

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commentaires

L
J'apprécie beaucoup ta manière d'évoquer des souvenirs de manière humoristique. Pour ce qui est du provençal, ma foi, je ne connais pas ce parler régional.C'est très drôle.
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K
Ma petite enfance dans ce village est un des meilleurs moments de ma vie . Puis le souvenir embellit tout, l’écrire devient facile...
É
Salut Karak ! Je passe vite fait, je retourne aider les intermittents qui occupent le théâtre dans ma commune ; on va rencontrer Corinne Masiéro............ grand moment !..............................
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K
Ne lâche rien !
M
Ton récit est pittoresque même si je ne peux pas l’apprécier complètement faute de connaitre le provençal... Je le trouve très amusant.
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K
Attend la suite... En fait c’est de l’occitan, de l’occifranc en fait un mélange local... comme un patois sans le côté péjoratif. Une sorte de clef pour savoir si ton interlocuteur est d’ici.
L
J'avais hâte de mettre les pantalons courts qui annonçaient les beaux jours.
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K
Quelquefois, je les portaient avant l'heure, le froid marbrait mes jambes à peine protégées par des chaussettes tricotées maison qui me faisaient un garrot aux mollets... Un truc considéré comme de la maltraitance aujourd'hui....

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