Je suis allongé sur mon lit, sur le dos, j’ai croisé mes mains sur mon ventre, comme un mort et je regarde le plafond. Un plafond blanc et triste, aucune aspérité, aucune tâche, aucune fissure pour accrocher mes chimères, mes dragons ou mes fourmis géantes. Il est lisse comme un écran de cinéma, mais le projectionniste est absent. Les bobines sont pourtant dans ma tête mais il manque le projecteur. Je reste là des heures à rêvasser au temps béni ou tout le plafond s’animait. Cela inquiète un peu mes parents de me voir figé comme un mort sur son lit d’évasion. Ma mère argumente : « Regarde ici, avec ton frère, vous avez une chambre avec une fenêtre, nous aussi avec papa, mamé aussi, il y en a une grande dans la salle à manger, une autre dans la cuisine. Au village on en avait combien ? Deux minuscules qui donnaient dans la petite cour. Là, regarde l’eau est au robinet pas besoin d’aller à la pompe, et les toilettes tu peux t’assoir dessus en plus ça va au tout à l’égout, tu préférais les chiottes à la turque, puantes et à partager avec les voisins ? Et la salle de bain, une baignoire sabot c’est quand même mieux que le cuvier » Elle a raison ma maman, nous vivions dans un taudis, mais j’aimais ces murs tordus, ce carrelage disjoint, ce plafond nuageux comme un ciel de mars et cette discrète odeur de moisi. Comment lui dire tout ce qui me manque ? Mes copains, mon ami Momond, notre parc communal avec son sapin « de la mort » son platane « à tatanes » (à cause des chaussures que nous y accrochions) la mare à têtards, les murs lépreux et leurs habitants, lézards et araignées… Ici c’est la ZUP, je ne sais pas ce que ça veut dire exactement, nous occupons une habitation à loyer modéré, un HLM on dit. La ZUP est en construction, nous sommes dans un des premiers bâtiments. Dehors ce n’est que chantiers et terrains vagues… Tiens les arbres ! Il y en a un seul dans la rue, engoncé dans une cage en fer, de peur qu’il s’échappe sans doute. Il est tout maigre et ne fait de l’ombre que pour une personne, une grand-mère qui tricote dessous et qui doit changer de place sans arrêt à cause du soleil qui joue à l’éblouir. Sur le terrain vague nous construisons des cabanes avec du matériel récupéré sur les chantiers, notre petit bidonville à nous, manière d’être à l’abri des centaines de fenêtres qui peuvent nous observer. Mais ça ne m’amuse pas, l’école non plus. Au village il n’y avait seulement trois classes de deux niveaux chacune, nous nous connaissions toutes et tous. Là, il s’agit d’un groupe scolaire, beaucoup de classes, les filles dans une aile les garçons dans l’autre, avec un muret pour nous séparer à la récrée. Fini les parties de foot endiablées, les taquineries avec les copines, ici il est même interdit de courir. Ma classe est dans ce qu’on appelle un baraquement en planches, avec des fenêtres donnant sur des murs borgnes… Fini, les grandes vitres à carreaux, le ciel par-dessus les toits, les ramures de platanes et les oiseaux qui venaient sur le rebord de la fenêtre picorer les miettes de pain que nous leurs offrions.
A SUIVRE