Le grand soir arriva enfin, une soirée d'été où nos pères enfilèrent leur épaisse canadienne de cuir, les moufles qui allaient avec, et au comble du fou rire, l'un un casque à visière intégrale, l'autre une corbeille métallique grillagée en guise de heaume. Ainsi bardés, ils se répartirent les tâches. Notre voisin, qui avait confectionné un trident artisanal pour la circonstance, tiendrait la porte entrebaîllée pour laisser croire au Diable a une issue et permettre de le coincer et ainsi de le châtier sans risque. L'épopée sauvage pouvait commencer.
Nous fûmes confinés à l'abri derrière la porte de la cuisine. Tout commença par des miaulements d'intimidation, puis des coups sourds qui d'après les jurons lâchés ratèrent leur cible. Des boites de visserie dégringolèrent des étagèrent dans un bruit de pluie métallique. Une lutte âpre se déroulait dans le couloir,, le chat avait bondi sur ses agresseurs. Malgré leur protection, on sentait bien que la cause n'était pas gagnée. Puis ce fut un cri de déchirement, le trident avait frappé juste et la porte d'entrée claqua.
Le silence fut vite rompu avec le retour des gladiateurs d'opérettes, couvert de sueur, soufflant comme des sangliers. Il l'avaient eu! Enfin, il avaient réussi à l'atteindre avec le trident et étaient convaincus qu'il ne reviendrait pas de sitôt. Cependant ils craignaient un peu la réaction du papé Cambolive, qui aura vite déduit que le châtiment infligé à l'animal venait de chez nous. Le vieil homme n'impressionnait pas que les enfants.
Après le repas, nous sortîmes tous dans la rue pour prendre le frais. Et là, nous apprîmes la nouvelle qui soulagea tout le monde. La voiture de monsieur Ravenet avait écrasé le Diable qui s'était littéralement jeté sous ses roues. "Le bon Dieu fait bien les choses" avait conclu ma mère et la soirée n'en fut que plus délicieuse…
Le lendemain alors que je faisais une tentative de recensement de trous de fourmis dans mon périmètre de jeu, j'entendis le bruit de la canne sur les barreaux de la souricière. Le Diable mort, la cruauté continuait avec la même mise en scène. Seule différence au tableau, un autre chat s'avança à la place du manquant. Le coup de canne qu'il reçut lui fit comprendre que le papé Cambolive portait toujours le deuil de son maudit animal. Et pour la première fois je l'ai plaint