Enfant je pouvais rester couché des heures à contempler le plafond. Un plafond de courbures, de bosses, de reliefs fourbes, de fentes sournoises et de fissures profondes.. J’y voyais des animaux monstrueux, ce fut d’ailleurs mon premier métier: dresseur de monstres fantastiques et fantaisistes aussi. Je les apprivoisais, les regardant évoluer avec la lumière rase d’un soleil en ricochet. Je les retrouvais pendant des siestes où je ne dormais pas. Pour moi ils sautaient, faisaient des cabrioles, mugissaient en silence, crachaient des flammes, la preuve ? Les petites traces de fumée qu’un vieux poêle entretenait. J’ai toujours aimé les vieux murs, ceux qui défient le fil à plomb, la pureté, l’immaculée peinture, la lisse surface sans fesses et sans fistules. De là mon second métier : Chasseur de lézard. Quand le soleil d’août tapait jusqu'à blanchir le ciel, je partais à la chasse. Mon territoire : ces vieux murs de pierres maladroites, de ciments poussiéreux et approximatifs, croûtes de terre et de galets, j’en connaissais la moindre anfractuosité, je savais celles habitées par les lézards. Je les attendais patiemment et à l’aide d’élastiques je les assommais. Pas question de tuer, j’ai jamais aimé ça, non ! J’avais envisagé le repeuplement des murs lépreux de ma maison. Mais voilà, elle était au fond d’une cour obscure et aucune plante ni animaux ne voulaient la coloniser. Seules les fourmis acceptaient d’y cacher leur repaire, maigre compensation pour quelques éclats de sucre et de mie de la tartine beurrée qui me servait de goûter. Les miettes tombées au sol les attiraient. Je les observais passionnément, et comme j’étais miro, je me couchais à terre, et je contemplais le travail des petites bêtes. J’étais bouche bée et narines frémissantes, et elles en profitaient pour me visiter. Elles entraient dans ma bouche, mes narines, mes oreilles, elles s’aventuraient dans mes méandres. Les plus vaillantes atteignirent même mon cerveau et en colonisèrent une partie. Quel délice de sentir ces petites pattes me masser les neurones. Elles y élurent domicile, et dans la foulée m’élurent Roi des fourmis. Un titre honorifique mais démocratique, je n’étais pas appelé araignée, elles ne les aimaient pas. Alors que fait un Roi ? Rien justement, un rien absolu, un rien bienfaisant, un rien sidéral. Un rien créatif, récréatif, sous mes tifs. Plus tard je mettais ma tête dans les ruches et bientôt du miel me coula des oreilles et du nez, je fus élu Roi des abeilles à l’unanime mitée. Le bourdonnement de mon cerveau empêchait mes proches de dormir, moi cela me berçait. Au réveil, nous sommes partis vers un bel HLM aux murs bien droits, aux plafonds lisses, sans lézardes nulle part. Alors j’ai regardé le ciel et les nuages attendant patiemment qu’un arc-en-ciel vienne émietter ses couleurs dans ma matière devenue grise... (illustration extraite de ce fabuleux livre "le chien des mers" ..)