les curés de cucugnargues
Episode 5 Le bar à Loule
Loule tout excité, retrouvait l’ambiance des jours de fête votive. Il virevoltait autour des tables avec son plateau de serveur. Petit à petit, l’établissement se remplissait. De leur coté, les héros, reconnaissables à leurs cheveux encore collés au front, tenaient forum au bar.
Pablo protesta :
-Et la rachade de fine, pour les chauveteurs, chest pour quand ?
-Elle arrive et elle est bonne, reprit Loule en passant derrière le comptoir. C’est celle de ma réserve personnelle et exclusive.
Pendant ce temps Marinette gavait le petit Jojo qui reprenait des couleurs, elle avait envoyé le facteur prévenir ses parents qui habitaient un mas éloigné.
Loule tendait la bouteille vers les verres des sauveteurs lorsqu’il s’interrompit :
-Vous ? Curé !
L’assistance l’avait presque oublié, mais le curé avait suivi les rouges jusque dans leur soviet.
- Faut l’excuser dit Marcus en s’adressant à l’homme de foi, vous ici, c’est un peu comme si le bon Dieu allait passer son dimanche de repos en enfer !
- Malheureux ! ne blasphémez pas, si l’enfer ressemblait à cet endroit, le paradis aurait une réelle concurrence, dit benoîtement celui qui portait si bien son nom.
- Excusez moi curé, continua Loule qui prit un verre plus grand que les autres, vous avez droit à un supplément, sans vous l’affaire n’était pas faite.
- Vous étiez là ! rougit l’abbé.
- Ne vous inquiétez pas ! vaï ! même si on fréquente pas l’établissement d’en face, y a des choses dont on ne se moque pas ! Mais je regrette quand même de pas avoir eu un appareil photographique…dit Loule en tendant le verre plein au curé. Sentez moi ça ! ce parfum de péché..
Même le curé rit, il rajouta seulement
-C’est de la poire ? non ?
-De la bonne poire ! oui, comme nous tous ! releva Marcus qui, s’adressant au curé, montra du menton le petit rescapé… Regardez curé, vous avez la Sainte Vierge avec son fils Jésus nous on a Joseph dans les bras de Marinette...Jojo au pays des zeppelins..
Marinette tira la langue à Marcus, et fit signe que le gamin blotti contre elle s’endormait. Le curé, après un petit claquement de langue, reprit la parole :.
-Messieurs, j’apprécie votre hospitalité, mais à quoi servirait-elle si elle n’était pas réciproque. Je voudrais donc vous inviter, non pas dans ma demeure, mais dans celle de votre voisin, celui dont le fils est mort sur la croix. Je sais, l’endroit est plus austère et moins chaleureux qu’ici, mais j’aurais grande joie à vous y accueillir ce Dimanche. Ce Dimanche seulement, je vous rassure, même si je souhaiterais vous y voir souvent. Mon vin de messe est moins savoureux que votre alcool de poire, mon eau bénite est plus fade que votre eau de vie. Mais justement, je parlerai de vie, de la vie que vous avez sauvée, que nous avons sauvée ensemble, sans se poser de question. Par amour de l’humain.
-Par humanité ! sourit Marcus.
-Par humanité ! bien sûr, reprit le prêcheur en levant son verre. Il avait compris l’allusion au journal communiste qui était posé sur le coin du comptoir.
Marcus se racla la gorge, il ne pouvait ne pas répondre.
-C’est d’accord curé, nous ne nous défilerons pas, il y a seulement une condition, nous sommes des laïques et plus des enfants. Si nous venons, nous ne monterons pas à l’étage. Non pas par bravade, mais parce que nous sommes pour l’égalité des sexes…
-Je vous arrête de suite l’interrompit l’abbé. J’espère bien que vous ne monterez pas, j’ai pas envie de vous voir vous défiler, comme certains… pour venir ici siroter une liqueur !
-Vous saviez curé ? dit Loule.
- Dieu voit tout, sait tout, et son serviteur voit surtout très bien la porte quand il dit la messe.
L’éclat de rire qui suivit marquait la réconciliation de l’homme en soutane avec les habitués du « café de la place ». (A suivre)