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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 07:14

Ma première confrontation avec Dieu eut lieu alors que je portais encore des culottes courtes, ou plus exactement alors que je commençais à porter des pantalons. J'étrennais des pantalons neufs, cela peut paraître un pléonasme mais à cette époque, il m'arrivait d'étrenner des pantalons usés par d'autres. Parenthèse inutile à la compréhension du texte mais destinée à clouer le bec aux petits malins qui seraient fiers de déceler une incorrection... Bref, ce jour là, j'avais bravé les interdits pour aller jour en costume du Dimanche. Et là! Catastrophe! Quand on joue au football sur le trottoir faut toujours s'attendre au pire. Une chute venait d'ouvrir une brèche dans le tissu serré de mon habit. Je fermai les yeux, grimaçant à la douleur du genou écorché et j'appelai Dieu, en personne, à ma rescousse.

-Dieu, s'il vous plaît, je ne regarde pas, faites que mon pantalon se recouse tout seul! Ma mère va me tuer, et heu… je veux pas lui faire de la peine. Je ne dirais rien! Juré! Ne vous dérangez pas pour le genou, c'est pas grave, j'ai l'habitude.

Les yeux fermés je comptai jusqu'à cinq et portai mes doigts sur l'accroc toujours béant. Je me décidai alors à interpeller Dieu une seconde fois

-Dieu, s'il vous plaît, Je ne regarderais pas comme vous faites, mais réparez mon pantalon. Je vous jure que je construirais une église quand je serais grand et… je ferais ce que vous voudrez.

Je lui laissai encore cinq secondes, le temps qu'il répare. Pour quelqu'un qui vous construit un monde en une semaine ça me semblait suffisant. D'autant qu'avec une promesse jurée crachée pareille, le miracle était profitable. Une église contre un pantalon neuf, à huit ans, que pouvais-je promettre de mieux? Et bien non! Dieu ne l'entendit pas de cette oreille – a-t-il seulement des oreilles ?-. Le soir, je me couchais le genou couronné et le fondement vexé et humilié par la fessée.

 

Je n'ai pas pour autant mis en cause l'existence de Dieu. Et pourtant! Quel personnage assez minable refuserait un petit tour de magie pour sauver un gamin d'une correction? Non, voyez-vous, je ne doutais pas de Dieu grâce au football.

J'étais gardien de but de l'équipe de mon école, le goal comme on dit, et à ce titre je jouissais d'une solide réputation: "Il n'a pas peur de s'escamper, le gonze" clamait à mon sujet l'entraîneur, qui peaufinait ses stratégies à la buvette. Ce qui signifie, pour les non initiés au langage populaire du sud, que je ne dédaignais pas me coucher sur le ballon quand il se trouvait, à ma portée, dans les pieds d'attaquants belliqueux. Ma belle assurance était cependant entamée lorsque la balle échappait à mon contrôle. Là, en un éclair je lançais une prière déchirante: " Dieu! Faites qu'elle passe au-dessus!". Et ça fonctionnait souvent, d'abord j'étais grand pour mon age et agile et surtout parce que Dieu adore le foot..

Pensez-donc, s'il a fabriqué le monde en travaillant comme un forcené pendant une semaine, c'est bien pour aller au stade le dimanche, aller voir jouer l’OM non? Enfin je voyais ça comme ça à l'époque. D'ailleurs beaucoup de gens humbles vivent ainsi, et Dieu les humbles, il est pour et surtout fait pour.

Depuis j'ai souvent réfléchi et je suis convaincu de l'exactitude de mon raisonnement. Avez-vous remarqué que les nations qui nourrissent une passion immodérée pour ce sport sont surtout des nations chrétiennes? Regardez ces latins et latinos toujours prêts à élever au rang de Dieu du stade des footballeurs de talent en les auréolant d'un ballon rond. Et même, avec un brin de malice, je pense que Dieu est chauvin: à ma connaissance aucune équipe d'une autre confession n'a gagné la coupe du Monde. Surtout pas des pays communistes !

Bref, je conservais la foi grâce à mes exploits sportifs et à la maladresse de mes adversaires. En deux mots, Dieu était dans nos buts. Notre équipe volait de succès en victoires, même aux dépends des écoles religieuses, chose que j'avais du mal à comprendre. Mais tout me fut révèle par Monsieur le curé durant une séance de catéchisme. Séance qui finissait toujours aux tirs au but. Ce brave curé m'enseignât en shootant comme un malade que Dieu était partout, voyait tout, savait tout.

-comme un bon arbitre? Avais-je cru bon d'ajouter.

-Si tu veux, reprit l'homme d'une foi, le jour du jugement dernier il t'expulsera en enfer ou te recevra au paradis.

-Et le carton jaune c'est pour le purgatoire?

-Si tu veux dit l'homme une seconde fois.

Je m'inventais alors une version personnelle de la fin du Christ, qui entraînait son équipe de douze apôtres. Judas, remplaçant, le trahit à cause de cette terrible jalousie qu'éprouvent tous les joueurs sur le banc de touche.

Quant à Dieu, mon opinion était faite, je l'imaginais habillé en noir, un sifflet à roulette à la bouche et des genoux cagneux s'échappant d'un short trop grand.

Je pensais qu'il me favorisait en cachette à cause de cette vieille histoire de pantalon troué.

Aujourd'hui, je ne lui en veux pas du tout. Pense un peu: une église à construire!

Fin

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19 août 2024 1 19 /08 /août /2024 07:02

Au temps du tomata (à Rosalie)

Pourquoi n’ai-je pas pleuré à ton enterrement ? Pourquoi ai-je pris ça pour une fatalité ordinaire ? Et pourquoi aujourd’hui encore, je me pose toujours la question ? J’ai pleuré la mort d’un chien, d’un   ami, mais pas la tienne. J’ai pleuré sur moi-même, plus à tort qu’à raison d’ailleurs, mais pas pour ta disparition grand-mère. Etais-je à ce point égoïste, insensible, résigné ? Il ne s’agissait pas d’un quelconque orgueil en tout cas, je n’ai jamais eu honte de mes larmes. Je t’aimais pourtant, du même amour que l’on éprouve pour ses grands-parents, une affection teintée d’une légère compassion  envers des êtres d’une génération en partance pour l’oubli.  C’est cela, je t’aimais comme on aime les personnes âgées dont on sait la séparation inéluctable. Quel idiot j’ai été.

Je savais que tu avais été une jolie petite fille, même si la photo, au décor de colonne antique et de rideau drapé, la classait immanquablement dans les souvenirs rococo d’une autre génération.  Celle que j’ai vue de toi jeune fille avait quelque chose de troublant : un éclair de lumière dans tes yeux clairs sur un visage crispé  te donnait un aspect surnaturel. Un regard d’au-delà. Un regard d’au-delà les Pyrénées, un regard venu de l’Espagne  que tu avais fuie, poussée par la misère, avant même que la guerre civile n’éclate.

Ce qui m’impressionnait le plus chez toi était l’horrible cicatrice que tu portais au bras. Dans l’atelier où tu travaillais, une machine avait failli te l’arracher. Lorsque, quarante ans après, j’en voyais la                                                                                                                                                                                                            boursouflure, blanchie par les ans, j’imaginais, avec effroi, la plaie d’alors. Je te demandais si cela ne te faisait pas souffrir, tu répondais qu’à l’époque oui, mais que pour ne pas perdre ton travail, tu y étais retourné le lendemain, sans t’en plaindre, et la semaine suivante tu accouchais de ma mère. 

De toute façon, je ne t’ai jamais entendue te plaindre, c’est peut-être à cause de ça que je n’ai pas pleuré à tes funérailles. On enterrait la maladie qui t’avait depuis  longtemps mangé le cerveau, qui t’avait déjà tuée en quelque sorte.  On s’apitoie rarement sur les gens réservés, on a tendance à les croire distants ou épargnés par les chagrins du monde, alors qu’ils ne manifestent qu’une dignité sans apparat. Les coups du sort ne t’ont guère ménagée.

Je t’ai vu  pleurer pour ton fils qui partait à la guerre, celle d’Algérie, qu’il ne fallait pas nommer ainsi. Tu avais pleuré le soir de son départ, devant l’évier, en essuyant l’assiette de son repas. Tu avais pleuré et tout le monde reniflait dans la cuisine. Tu as alors demandé à Dieu qu’il te le rende, vite, pour un moment encore. Tu ne lui avais jamais rien demandé avant, par peur de le déranger sans doute, par humilité aussi. Et il t’a entendue le bougre… Le lendemain soir, dans un bruit inhabituel de vespa, un copain te le ramenait, son bateau avait pris plusieurs jours de retard. Je n’ai jamais retrouvé d’odeur aussi succulente  que celle de l’omelette que tu lui avais alors préparée. En plus des œufs et de la tranche de jambon, tu avais rajouté une telle dose d’amour que ça embaumait la cuisine.

Il est bien sûr reparti, mais cette fois tu n’as pas pleuré. Tu as blanchi. Comme si ton bon Dieu, à la manière d’un Faust cynique, t’avait pris quelques années de ta vie en échange du retour de ton enfant. D’un seul coup, tes magnifiques cheveux bouclés se sont transformés, par l’alchimie du désespoir, en mèches d’argent. Des cheveux somptueux, sortant de la corne d’abondance de ton foulard lorsque tu allais grappiller dans les vignes. J’ai, soi-disant, hérité des mêmes et l’argent m’a poussé sur la tête avant d’être grand père. Par contre je n’ai pas tes yeux,  deux diamants  bleus, limpides, irisées de petites planètes vertes satellisées autour d’une pupille sombre. J’ai vu tout cela le jour où je t’ai surprise, tu te souviens ?

J’avais écourté ma sieste à cause des ronflements de grand-père, je me faufilai, sans bruit vers la cuisine. Je t’y revois encore, bouche ouverte, lèvres avancées, accueillant d’une langue friande une goutte de confiture au bout d’une cuillère en bois. Un plaisir gourmand éclairait ton visage. Gêné de deviner cette volupté, je suis resté là sans bouger. Mes pieds nus sur le carrelage n’étaient pas pressés d’affronter la canicule. J’attendais patiemment que tu me découvres.

Tu m’as aperçu, et, sans rompre le charme, tu m’as tendu la cuillère. « C’est bon chiquet ! » as-tu murmuré. Tu m’as alors invité à la dégustation en penchant ta tête contre la mienne. Enveloppés de l’odeur caractéristique  de la confiture encore chaude, nous formions un drôle de couple, je lisais le ravissement dans ton regard. Nous sommes restés quelques instants ainsi,  collés l’un à l’autre et condamnés au silence pour ne pas réveiller les dormeurs. La cuillère avait fait plusieurs allers-retours dans la marmite et nous n’avions plus l’excuse de la goûter. Nous la dévorions avec de grands sourires complices, les yeux écarquillés de joie. Je savourais la vie, le soleil, le fruit, mais aussi  celui de ton travail, ton inlassable travail.

Je ne dormais que rarement pendant la sieste, alors je te rejoignais souvent pour t’aider. En fait, je t’embarrassais plus qu’autre chose, mais tu me confiais toujours une tâche valorisante comme lorsque tu préparais le « tomata »   

Comment évoquer le « tomata », ces conserves faites maison, sans parler de la chaleur d’août, de l’odeur exotique des tomates fraichement cueillies, des marmites bouillantes dans lesquelles nous les jetions. Tout ce petit artisanat qui se mettait en place, les bouteilles longuement nettoyées, les louches, les entonnoirs et la kyrielle de bouchons de liège souvent réutilisés d’une année sur l’autre. Cette troupe, ma grand-mère, ma mère, une cousine et moi, s’alignait sagement en attendant la charge. Au milieu de ce laboratoire en plein air, en pleine ombre, tu me laissais la place de choix. L’holocauste de tomates pouvait commencer.

Je grimpais sur une caisse afin d’être à la bonne hauteur, toi armée d’une louche, tu retirais les tomates bouillies, enlevais, en te brulant,  leur peau et fournissait en chair tendre la gueule des entonnoirs. Là, comme un chef d’orchestre, baguette en main, je m’évertuais à faire pénétrer le tout dans des bouteilles disparates aux goulots trop étroits ou trop larges pour un entonnoir rebelle. Parfois, une fois rempli, il vomissait de chaudes coulées de liquide sanglant et poisseux sur mes doigts malhabiles. 

Face au monde, nos bras, comme des pistons montaient et descendaient en cadence. Tu m’apprenais, sans le savoir peut-être, la volonté de faire, d’entreprendre, de maitriser la pratique et tout cela avec si peu de mots.

Tu M’encourageais « nin ! Cha ba vite, hein ». J’étais loin de rivaliser, mais j’y mettais du cœur et parfois je cassais même mon bout de bâton. Tu disais alors que s’il cassait «  ch’est qu’il n’allait pas biennn ! » et tu t’activais pour m’en trouver un autre plus rectiligne dans le fagot de sarments qui attendaient le brasier.  Parfois nous buttions sur un morceau récalcitrant, qui pour se venger, nous crachait de petits jets de graines brulantes. Cela nous amusait, tu commentais en patois et je riais même si je ne devinais pas toujours le sens.

Quelle horrible civilisation, quand j’y repense, qui interdisait à un enfant de comprendre la langue de sa grand-mère. Bien sûr, les grammairiens n’auraient pas eu de mal à démontrer que tu parlais un sabir, mêlé d’occitan, de catalan, de français. Qu’importe, tu parlais la langue de ta condition, la langue des réfugiés, on ne disait pas immigrés  alors, la langue de ceux qui ont peu connu l’école. En fait c’était un espéranto qui permettait à tous ces gens du sud de se comprendre, qu’ils viennent d’Italie, d’Espagne ou du Portugal, une langue de fraternité identitaire en quelque sorte.

Un soir où la télévision avait diffusé une émission appelant à la générosité pour combattre la faim en Afrique, cette même fraternité t’avais conduite à aller chercher, chez lui, le maire du village pour qu’il assure une permanence, pour  lui remettre tes cinq francs. Toi qui tordais le cou d’une poule sans sourciller, toi qui lui arrachais l’œil pour la vider de son sang, pour cuisiner un « sanquet », tu ne supportais pas que de l’autre côté de la planète, dans un pays dont tu ignorais l’existence, des enfants meurent de faim. Il fallait que tu fasses quelque chose, que tu donnes sans calcul. Ces cinq francs t’ont peut-être manqué, le lendemain, pour payer les commissions …

A cette époque, les épiciers distribuaient des points de fidélité qu’il fallait coller dans un cahier. Tu me réservais cette joie. Méticuleusement, j’ajustais ces petites vignettes dans leur emplacement. Chaque timbre n’équivalait qu’à un centime, pourtant le cahier rempli, j’avais l’impression de t’avoir fait économiser une fortune. Je me souviens même qu’en échange de l’un d’eux, tu m’avais rapporté un bol. Un bol de faïence blanche,  décoré d’un motif léger, dans lequel, tous les matins, tu me versais un chocolat fumant.

Tous les souvenirs que j’ai de toi sont liés à la chaleur, celle de l’été, puisque je passais mes grandes vacances avec toi et grand-père, mais aussi celle des repas de famille. Tu étais une fameuse cuisinière, ou plutôt une championne pour faire manger, avec peu de moyens, une tribu gloutonne. Un paquet de riz, deux bouteilles de tomata, un ou deux oignons du jardin, une gousse d’ail, trois ou quatre cents escargots, des petits gris, que l’on ramassait après la pluie et tu rassasiais tout le monde. Rêveur, je contemplais les pyramides de coquilles vides qui rivalisaient de hauteur, tu contestais à grand-père le titre de « plus gros mangeur d’escargots ». Et moi, j’avais l’Egypte sur la table. Cette chaleur ne se mesurait pas qu’en calories quand, après le festin, papé décrochait l’accordéon…

Etrangement, alors que nous vivions désormais dans le même village, mon adolescence nous éloigna, comme si d’un coup la différence d’âge s’amplifiait.  

La deuxième fois où je t’ai vu pleurer c’est lorsque je t’ai annoncé mon départ pour Paris, en quête d’un travail. Tu te souciais de ne plus me revoir, et moi, avec l’arrogance de mon âge, je riais de tes inquiétudes. J’aurais dû partager tes craintes plutôt que d’afficher cette assurance, ce ton protecteur, faussement raisonnable et véritablement stupide. Ton voyage fut plus long et plus douloureux que le mien, il s’appelait Alzheimer.

Le dernier souvenir de toi est de loin le plus douloureux, la cruauté cynique du sort m’est insupportable. La maladie te prenait ta personnalité, s’acharnait à t’humilier, te rabaissait au rang de légume gâté, pareil à ceux que tu  ôtais de ton panier pour éviter qu’ils ne contaminent les autres. C’était d’ailleurs ta supplique lorsque tu traversais un court moment de lucidité, tu souhaitais en finir.

Je t’ai vue assise, les mains pendantes comme des chiffons mouillés. Elles qui virevoltaient sans cesse avec grâce. Elles qui servaient aussi de manœuvre à ton colosse de mari, elles qui dansaient autour des fourneaux, semblaient ignorer maintenant les gestes. Et tes yeux ! Tes yeux sans regard, vides de vie… Tu étais à l’endroit même où je t’avais surprise vingt ans plus tôt. J’ai compris alors qu’il n’y aurait plus d’odeurs de confitures ni de cuillère en bois entre nous. J’ai compris que tout moment est unique et que le bonheur doit être pris par reflexe ; j’ai compris la mort, la vie, pêle-mêle, J’ai compris mon incommensurable bêtise.

Je t’ai embrassée, ton regard s’est alors éclairé, ta bouche a repris vie, elle s’est arrondie pour tenter de murmurer mon nom, mais aucun son n’est sorti. Tu t’es excitée pour retrouver au moins une syllabe, puis tu es retombée dans ce brouillard de désespoir.

Dehors, sur la terrasse, théâtre de mes jeux d’enfant, le froid figea dans mes yeux les larmes qui n’ont pas coulées quelques mois plus tard à ton enterrement.

 

 

 

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26 avril 2024 5 26 /04 /avril /2024 09:29

Moi dont les distractions avec les animaux se limitaient à de paisibles courses d'escargots ou à l'étude approfondie, quelque peu paresseuse, de la vie des fourmis, j'avais du mal à concevoir tant de cruauté calculée. Mes grands parents tuaient bien des lapins et des poulets de leur poulailler, mais ils procédaient rapidement, sans mise en scène, sans plaisir en tout cas, presque à contre cœur et jamais inutilement. Là, avec cette complicité sanguinaire avec l'animal, l'homme dépassait la bête en férocité. Le Diable portait bien son surnom.

Mais ce n'était pas le seul grief que l'animal suscitait. Il avait pris l'habitude de passer ses nuits chez nous. Il s'introduisait dans la maison vétuste que nous partagions avec nos voisins et y fondait royaume dans les dépendances communes. Des pièces borgnes servant de débarras, d'atelier, de garage à vélo conduisaient à un endroit sordide: les toilettes à la turque. Un réduit qui me hantait lorsque je devais affronter seul ce gouffre de puanteur où j'imaginais le diable, le vrai celui-là, tenir boutique. En attendant son compère à quatre pattes s'y réfugiait parfois augmentant ma terreur.

Cet univers nous effrayait tellement, ma petite voisine et moi, que l'on ne s'y aventurait qu'ensemble en nous parlant bien fort. Mais lorsque de derrière le cadavre désossé d'une moto montait une plainte lugubre, le courage nous manquait et nos petites jambes fonçaient se réfugier dans la cuisine pour y retrouver nos parents.

Nos mères mirent leurs maris en demeure de nous débarrasser de ce perturbateur. Non content de nous épouvanter, l'animal perturbait aussi leur sommeil en miaulant une partie de la nuit et en période de chaleur, il laissait derrière lui une odeur de fin du monde. La chose était entendue, les hommes relevèrent le défi, mais méfiants, ils fourbirent leurs armes. Plusieurs fois ils avaient chassé l'animal de leur territoire de bricolage, mais toujours dans la crainte de griffures ou de morsures. Le Diable n'hésitait pas à faire face et à menacer, mais un chat, même à moitié fauve ne pouvait pas imposer sa loi. On allait voir ce qu'on allait voir!

 

Le grand soir arriva enfin, une soirée d'été où nos pères enfilèrent leur épaisse canadienne de cuir, les moufles qui allaient avec, et au comble du fou rire, l'un un casque à visière intégrale, l'autre une corbeille métallique grillagée en guise de heaume. Ainsi bardés, ils se répartirent les tâches. Notre voisin, qui avait confectionné un trident artisanal pour la circonstance, tiendrait la porte entrebâillée pour laisser croire au Diable a une issue et permettre de le coincer et ainsi de le châtier sans risque. L'épopée sauvage pouvait commencer. Nous fûmes confinés à l'abri derrière la porte de la cuisine. Tout commença par des miaulements d'intimidation, puis des coups sourds qui d'après les jurons lâchés ratèrent leur cible. Des boites de visserie dégringolèrent des étagèrent dans un bruit de cascade métallique. Une lutte âpre se déroulait dans le couloir, le chat avait bondi sur ses agresseurs. Malgré leur protection, on sentait bien que la cause n'était pas gagnée. Puis ce fut un cri de déchirement, le trident avait frappé juste et la porte d'entrée claqua. Le silence fut vite rompu avec le retour des gladiateurs d'opérettes, couvert de sueur, soufflant comme des sangliers. Ils l’avaient eu! Enfin, ils avaient réussi à l'atteindre avec le trident et étaient convaincus qu'il ne reviendrait pas de sitôt. Cependant ils craignaient un peu la réaction du papé Cambolive, qui aura vite déduit que le châtiment infligé à l'animal venait de chez nous. Le vieil homme n'impressionnait pas que les enfants. Après le repas, nous sortîmes tous dans la rue pour prendre le frais. Et là, nous apprîmes la nouvelle qui soulagea tout le monde. La voiture de monsieur Ravenet avait écrasé le Diable qui s'était littéralement jeté sous ses roues. "Le bon Dieu fait bien les choses" avait conclu ma mère et la soirée n'en fut que plus délicieuse… Le lendemain alors que je faisais une tentative de recensement de trous de fourmis dans mon périmètre de jeu, j'entendis le bruit de la canne sur les barreaux de la souricière. Le Diable mort, la cruauté continuait avec la même mise en scène. Seule différence au tableau, un autre chat s'avança à la place du manquant. Le coup de canne qu'il reçut lui fit comprendre que le papé Cambolive portait toujours le deuil de son maudit animal. Et pour la première fois je l'ai plaint

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22 avril 2024 1 22 /04 /avril /2024 13:56

C'est son chapeau qui m'avait le plus impressionné, je n'en n'avais jamais vu de semblable. Feutre noir à bords étroits élimés, il conservait le souvenir d'une forme haute. Le temps avait du le cabosser mille fois pour lui donner cette patine lustrée de sueur. Il me faisait penser aux chapeaux de vieux cow-boys que je croisais dans mes illustrés. La tête d'ailleurs était à l'image de la coiffe. Les yeux noirs s'enfonçaient dans des cicatrices mal refermées, sur un visage hostile. Des touffes de cheveux bruns luisant de crasse tombaient sur un visage sec, dissimulé par d'épais sourcils et une moustache anarchique à la noirceur de circonstance. La barbe grisonnait en rangs irréguliers sur une absence de menton.

"Si tu regardes le papé Cambolive dans les yeux, tu risques de devenir aveugle tant son regard est puissant" disaient de lui, avec crainte, les élèves de la classe des grands.

Pour moi c'était l'incarnation du "Peillarot", ce personnage légendaire, voleur d'enfants que nos mères appelaient quand nous refusions de manger la soupe. La peur qu'il m'inspirait n'avait d'égale que la curiosité qu'il éveillait en moi.

Il ne fréquentait personne, n'allait jamais s'asseoir avec les autres vieux sur les bans du "sénat", cette assemblée où chacun apportait sa canne en signe de reconnaissance. On disait que la grande guerre avec ses tranchées l'avait rendu cruel et méchant, qu'il mangeait du pain rassis, des lézards verts grillés et des hérissons bouillis.

Il habitait une vieille maison insalubre, en face de la petite cour qui me servait de terrain de jeu. Là, protégé par l'ombre d'une glycine vénérable, m'était donné d'assister à une scène qui se répétait tous les deux ou trois jours et qui me troublait. Sentiment mitigé de curiosité et d'effroi.

Cela se passait au milieu de la matinée, le vieil homme sortait de chez lui portant une cage souricière à sa main. Comme au théâtre il frappait les trois coups avec sa canne, puis il descendait doucement les marches du perron et s'essayait sur l'avant dernière. A ses pieds les rats et les souries piégés poussaient de petits couinements, les bêtes les plus robustes, debout sur leur pattes arrières passaient leur museau à travers les grilles..

Bientôt, venus sans bruit, les chats s'installaient en demi-cercle autour de la souricière à une distance que le vieux Cambolive faisait respecter à coups de canne. Un seul chat restait en avant, un noir au pelage terne, couvert de gale, un flibustier de la gouttière, les oreilles en dentelles, la tête couverte de plaies et la queue cassée en forme d'éclair. Nous l'avions surnommé "le diable". Agile, bagarreur, voleur, il semait la panique dans le quartier et ne trouvait de la sympathie qu'aux yeux du vieil homme. Le spectacle pouvait commencer, tous les acteurs étaient en scène.

Le vieil homme libérait en premier le plus gros des rongeurs. Au bout d'un demi-mètre de liberté, sa vie ne lui appartenait déjà plus. Le diable s'était jeté sur lui et dans une courte bataille lui brisait les reins. Les cris aigus de la pauvre bête me faisaient frissonner. Aussi abjectes que soient ces créatures, mi rat d'égout, mi rat des champs, j'éprouvais pour eux une réelle pitié. Mourir dans les griffes d'un chat me paraissait le supplice suprême. Surtout que le diable consommait sa victime sur place. La bouche gluante de tripes chaudes, il regardait la suite de la représentation.

Le vieux ouvrait alors grande la cage, libérant d'un coup les prisonniers qui se déployaient en éventail, il s'en suivait un carnage sans nom. Les chats se jetaient dans la mêlée, se disputant leur proie, se battant entre eux, sans toutefois perdre de vue leur déjeuner sur pattes. La tuerie se poursuivait au milieu de la chaussée sous les miaulements rauques de ceux qui défendaient leur prise. En quelques secondes les choses étaient réglées et les félins retournaient à leur poste de vigie, une proie dans la bouche pour les plus véloces.

Le Diable qui avait le premier fini son repas, revenait vers la souricière d'ans l'espoir d'y découvrir, et c'était souvent le cas, une sourie égorgée par ses compagnons de captivité. Le papé Cambolive extrayait alors le petit cadavre et l'offrait à son chat préféré. La main calleuse qui caressait le dos meurtri de l'animal me donnait la chair de poule.. (A Suivre)

 

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24 décembre 2023 7 24 /12 /décembre /2023 07:59
Le sapin de la mort

 

-Quand j'étais petit, je n'étais pas grand

J'allais à l'école chez Monsieur Bertrand

On me mettait des culottes, j'y faisais dedans

On m'en mettais d'autres j'en faisais autant.

Je chantais cette comptine sur le chemin de l'école.

Le midi, je mangeais très vite et je partais bien en avance pour un rendez-vous discret. Rendez-vous avec des copains? Non! une rencontre plus intime, plus secrète. Une copine? Non! pas du tout, un arbre, un sapin majestueux.

Mon arbre magique habitait le petit parc qui jouxtait l'école. Quelques platanes, des buissons, des roseaux et le "sapin de la mort" comme l'appelaient les grands du cours moyen. Il n'était pas franchement impressionnant, seulement on lui avait coupé toutes ses branches basses à une dizaine de centimètres du tronc, ce qui permettais facilement de grimper dedans.

Là, à l'abri de sa ramure, invisible du sol, je pouvais très bien voir ce qui se passait en bas, sans être vu. Un poste d'observation idéal. Je lui demandais pourquoi les grands l'appelaient le sapin de la mort, alors naturellement il m'expliqua:

-Un jour, ils sont montés à plusieurs dans mes branches et cette fois là ils ont voulu aller à ma cime. Il ont failli me casser en deux ces garnements, j'ai plié le dos, puis tellement plié la tête qu'ils se sont retrouvés pendus au dessus du vide. Et ils ont eu très peur, moi aussi d'ailleurs, mais voilà, depuis j'ai mauvaise réputation.

Je lui demandais aussi s' il voyait des fées en robe vaporeuse ou des farfadets à barbe fleurie.

-Non tout ça, ce sont des légendes, des contes pour les bambins.

J'étais certes un peu déçu et n'osais lui répliquer que les arbres ne parlaient pas dans le monde réel, mais on n'allait pas se fâcher pour çà.

-Pas de fées ici, par contre regarde la casquette bleue, tu vas rire.

Je la connaissais bien cette casquette, c'était celle d'Octave, le garde champêtre. Sa casquette cahotait comme lui, à la guerre il avait échangé un bout de mollet contre un éclat d'obus. Mauvaise pioche. Il marchait de travers, même quand il portait le drapeau des anciens combattants pour la cérémonie du 11 novembre. Là, il venait de se planter devant le tronc du platane, il déboutonna sa braguette et se mit à pisser abondamment. Une fois la secousse finale terminée il referma la boutique et lâcha un pet monstrueux! Un pet de mousquetaire! Le fou-rire me prit et mon arbre s'agita pour en masquer le bruissement …

Puis un jour, j'ai quitté mon village et mon sapin pour aller vivre dans une banlieue bétonnée et bitumeuse où les rares jeunes arbres poussaient derrière des barreaux de fer. J'ai dit au revoir à mon compagnon en lui promettant de revenir un jour..

Cinquante ans après je tiens ma promesse, avec dans chaque main mes deux chérubins de petits enfants. Cinquante ans d'absence, mais le souvenir intact. Le village a changé, là où poussaient les choux, les artichauts, les fleurs de culture, des lotissements exposent leurs murs de clôtures et leurs maisons cachées derrière, bien rangées, bien propres, bien tristounettes. Le cœur du village n'a pas trop changé, il a rétréci. Tout ce que mes yeux d'enfant voyaient immense n'a rien de spectaculaire. J'ai craint de ne pas retrouver mon école et le parc, mais rien n'a été démoli. Le portillon donne toujours sur l'allée pour y accéder, une allée rétrécie elle aussi. Le parc de mon enfance n'est, en fait, pas plus grand qu'un square, d'ailleurs il est aménagé en jardin d'enfants. Les miens m'ont lâché la main et sont partis à l'abordage des structures. Et là tout proche, le sapin de la mort les couve de son ombre violette. Il n'a pas changé lui, il a poussé en même temps que moi. Je m'approche, je lui dis bonjour

-Salut vieille branche.

Mais il ne me répond pas. Je me souviens des histoires que je me racontais en le faisant parler. A moins qu'il m'ait vraiment parlé, peut-être que les arbres n'adressent la parole qu'aux enfants.

Mes deux loustics viennent me rejoindre, ils ont repéré les moignons de branches qui vont les aider à monter. Je ne vais pas leur interdire ce que je faisais à leur âge, quand même?. Ils disparaissent dans la ramure, engloutis par ce géant vert. Je vais m'asseoir en les attendant, les laissant savourer cet instant.. Une dame passe avec ses enfants et j'entends l'arbre glousser comme à l'époque. Seule l'enfance est éternelle…

J'appelle mes deux petits singes, qui dégringolent agilement pour venir me prendre la main spontanément. A peine avons-nous fait quelques pas qu'ils me tirent sur les bras:

-Papy on a un secret à te dire.

Je me baisse et comme par enchantement le décor redevient celui de mon enfance.

-Alors ce secret?

-Tu sais, l'arbre, et bien il nous a parlé de toi…

J'ai alors senti une marée profonde m'envahir, une marée d'équinoxe, un tsunami d'émotions. Je me suis redressé pour éviter que ma tête n'explose comme un bouchon de champagne, l'écume des souvenirs a jailli de mes yeux, des larmes ont coulé, des larmes oui, mais des larmes sucrées..

 

 

 

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12 octobre 2023 4 12 /10 /octobre /2023 16:26

J'avais cependant des rendez-vous beaucoup plus agréables avec cette institution. En effet, où croyez-vous que l'administration fêtait le Noël de son personnel et de leurs enfants, hein?

Gagné! Dans la salle de spectacle de la Maison Centrale. Là, nous nous enfoncions plus en avant dans le pénitencier. Nous passions deux portes successives que le même agent devait ouvrir et fermer en alternance, comme dans une écluse. Puis, nous prenions à droite, avant le salon de coiffure, pour une courte promenade dans le chemin de rondes balisé, à tous les coins, de guérites désuètes. D'un côté le mur cachant la liberté, de l'autre celui du monde interdit, bien parallèle. J'explique tout ça pour que tu ne sois pas dépaysé si d'aventure ta femme te trompe ou ton voisin te brime, et que tu veuilles en finir avec eux.. Sait-on jamais!

La salle de spectacle, côté carcéral me projetait une fois l'an dans l'univers merveilleux de Charlot, Laurel et Hardy, Tom et Jerry. Deux heures de courts métrages burlesques, de dessins animés, mieux qu'au cinéma où nous allions rarement. Ce furent mes premières découvertes de l'humour, de l'aventure et du septième art en général. La féerie était complète avec la distribution de cadeaux. Joie à peine ternie par l'idée de rentrer à la maison dans le fourgon cellulaire qui faisait office de transport en commun. Effet assuré dans le quartier, d'autant plus qu'une fois les organisateurs eurent l'idée de nous offrir des panoplies de policiers. Imagine la scène.

Ce Père Noël généreux se voulait aussi moderne. Dans les années soixante, quand les "Yé-Yé" nous inventaient une culture de génération, il nous offrit un … concert Rock. Sans blague. A dix ans, en prison, je ne suis pas prêt d'oublier ça! Le public fut ravi, le directeur aussi qui proposa aux jeunes musiciens –parmi lesquels un fils de gardien- de revenir jouer devant le public habituel du Dimanche. Il mit une seule condition à cela, que le groupe change son nom pour un soir. "Les Bourreaux" ça faisait un peu trop provocateur, à l'époque la peine de mort existait encore..

                                                                    FIN

 

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11 octobre 2023 3 11 /10 /octobre /2023 05:34

Ils étaient deux à jouer les Figaro, un viticulteur et un ancien légionnaire. Deux versions de la coupe mais après tout pour manier la tondeuse à main, il fallait plus de pratique que de talent. L'agriculteur, rondouillard, âgé et débonnaire avait tué son voisin qui s'amusait à l'humilier depuis l'école maternelle. Il avait craqué à cinquante ans et logé un petit bout de fer de la manufacture des armes de Saint Etienne entre les sourcils de son tortionnaire. Mais comme il avait essayé de cacher son vilain geste en enterrant le corps, il avait écopé du maximum. C'était du moins la version de mon père pour me donner confiance en la justice de mon pays. Il s'agissait, de loin, du criminel le plus sympathique que mon frère et moi fréquentions. Parfois une larme roulait de son gros nez de vigneron lorsqu'il nous avouait ne plus pouvoir embrasser ses petits-enfants, des gamins de notre âge… Nous nous disputions pour passer sous ses ciseaux, bien qu'il ne fasse pas grande différence entre nos têtes et des ceps de vigne. Quelle taille, mes amis! Il ne devait pas laisser des sarments bien longs sur la souche… Il obéissait scrupuleusement à la consigne paternelle :"bien dégagé autour des oreilles et courts au-dessus."

Avec l'autre coiffeur les recommandations étaient inutiles, il ne connaissait qu'une coupe: la brosse. D'ailleurs il la portait lui-même sur un visage émacié, agressif à force d'être anguleux. Toujours habillé, quelle que soit la saison, d'un marcel blanc, il dévoilait une musculature fine et saillante sous un tatouage représentant un poignard traversant un serpent. "Titi-le-surin" ça devait être lui, surtout avec ce regard: celui des méchants dans les films de gangsters.
-Papa? Quel crime il a commis le tatoué qui nous rase le crâne?
-Lui! Il a tué ses trois femmes, me répondit-il comme s'il s'agissait d'une chose banale.
Devant mon étonnement, il m'expliqua que ses femmes l'avaient trompé et qu'il les avait assassinées. Il avait déjà fait de la prison pour la première, par contre la seconde avait eu une aventure avec un soldat allemand et l'épuration aidant, il fallut attendre le troisième meurtre pour le condamner à nouveau.
-Et comment il les tuait?
-Je sais pas moi, il a égorgé la dernière je crois.
-Dis, dis papa! Il lui a pas crevé les yeux avant?
-Mais qu'est-ce que tu me racontes là, tu peux pas penser à autre chose?
Penser à autre chose! J'aurais voulu t'y voir lorsque  celui qu'on appelait maintenant "Titi-Barbe-Bleue" disait avec son accent pointu:
-Et un p'tit coup de rasoir pour finir
Et il se mettait à affûter la lame sur la langue de cuir.
-Penche la tête p'tit! Et joignant le geste à la parole, il me forçait à tendre le cou.  Dans mon dos, le retraité expliquait dans le détail et avec délice, ce que signifiait "le sourire Kabyle".
"Crussh" la brûlure était de courte durée mais chaque fois je la croyais fatale. Même si je n'étais pas une femme infidèle, j'éprouvais toujours une profonde joie de vivre après l'épreuve du rasoir. La prison ça te marque un homme, pour sûr! Un enfant je te dis pas! (A suivre)
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9 octobre 2023 1 09 /10 /octobre /2023 11:34
J'avoue, mon paternel était gardien de prison ou plus exactement agent pénitentiaire comme je l'écrivais régulièrement sur les fiches scolaires. Mais je me refusais d'écrire "gardien de prison" ... Oh, je n'avais pas honte du métier de mon père mais je me souciais de la réaction de mes copains toujours prêts à jouer les Jean Valjean plutôt que les Javer. D'ailleurs lorsque l'un d'entre eux me demandait le travail de mon père, je répondais:
-Mon vieux? Ça fait vingt ans qu'il est en taule… même qu'il est innocent.
Je voyais bien à leur attitude l'influence que j'aurais pu avoir s'il avait choisi l'autre côté des barreaux.
L'intérêt que tous me témoignaient retombait comme une crêpe collée au plafond quand je dévoilais la vérité. Parfois je répondais qu'il faisait "centrale" mais il ils avaient du mal à me croire en le voyant passer en uniforme sur sa mobylette. Mon père travaillait pourtant bien en Centrale, en maison centrale. Celle où le pensionnaire le plus présentable avait au moins étripé un de ses contemporains et coulait quinze ans de jeunesse entre quatre murs.
La prison, construite dans un ancien fort Vauban vivait comme une petite ville avec ses ateliers, son économat, son mess, ses jardiniers, ses plombiers, sa salle de spectacle, son terrain de sport et ses coiffeurs.
Le pénitencier, dans sa grande clémence, acceptait que lesdits coiffeurs officient gracieusement ou presque pour les surveillants et leurs enfants.. Un avantage que ne laissait pas passer mon père, vous pensez bien. Aussi, comme à cette époque les cheveux se portaient très très courts, mon frère et moi passions régulièrement nos jeudis matins en prison. Et dire que certains se plaignaient pour deux heures de colle.

Nous nous retrouvions quelques-uns dans ce cas, les gamins bien sûr, mais aussi quelques retraités qui, profitant honteusement de leur âge pour nous passer devant, venaient se faire tailler la barbe. L'un d'entre eux nous laissait volontiers sa place, mais c'était dans le but de nous captiver avec des histoires de bagnards qui auraient fait frémir nos mères.

-Passe mon petit, en attendant je vais te raconter celle de Titi-le-surin. C'était un parisien maniaque du couteau. Il crevait les yeux de ceux qu'étaient pas réglos avec lui.

Un conteur, des magazines illustrés, des bandes dessinées, toujours les mêmes, l'épreuve aurait été supportable s'il n'y avait pas eu au bout l'homme au rasoir.

A SUIVRE

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11 novembre 2022 5 11 /11 /novembre /2022 20:08

Cher grand père, tu avais échappé à la tuerie de la Grande guerre, aux balles ennemies mais aussi à celles fratricides qui fauchaient pour l’exemple. Dans les repas de famille tu chantais la chanson de Craonne, cet hymne funeste chanté par ceux qui allaient laisser leur peau à Craonne sur le plateau, chanson interdite alors. De ta campagne de pacification au Maroc, tu avais aussi ramené une chanson. Mon père ne se souvenait que du refrain : « On va civiliser les marocains/ comme la chose n’est pas commode/ à coup de sabre dans les reins/ civilisation à la mode » Tu avais tout compris de cette saloperie qu’est la guerre… Ta femme aussi, aux résistants venus lui proposer de fusiller deux allemands devant ta maison, pour te venger, elle leur a répondu : « Tout le sang de l’armée Allemande ne me rendra pas mon pauvre Louis » Qui pouvait rêver d’une aussi touchante épitaphe.

Tu es ainsi devenu « pauvre Louis » « pauvre papa » « pauvre oncle ». Pauvre étant le paravent pudique que nous glissions devant nos morts. Je n’aurais connu de toi qu’une chaussure, mais elle m’a aidé à comprendre et à avancer…

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19 octobre 2022 3 19 /10 /octobre /2022 13:15
C'est la crise!

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