Des voitures, dans le village il n’y en avait pas beaucoup, et dans le quartier haut, seul l’Espingle possédait une vielle Simca fourgonnette que tout le monde appelait « la trapanelle ». Les enfants avaient d’ailleurs inventé un jeu avec les voitures, ceux du bas du village lorsqu’ils reconnaissaient, au bruit, le modèle de voiture qui passait sur la route avaient le droit de pincer leurs compagnons, ceux du haut quartier se pinçaient simplement quand ils entendaient arriver la trapanelle. La quatre chevaux du curé allait les perturber, surtout que, ne doutant pas de la protection de Saint Christophe à son sujet, le curé roulait à tombeau ouvert, si l’on peut dire.
L’accrochage qu’il eut en ratant le virage du pont le calma un peu. Il fallut remplacer l’aile droite du véhicule, mais comme le nouveau garagiste, ancien ferronnier, n’était pas encore formé aux techniques de la peinture sur tôle, la voiture arborait fièrement une aile banche qui tranchait avec sa couleur bleu nuit d’origine. "Une aile d'ange".
Mais le vrai talent que possédait le petit curé ne prenait tout son sens qu’en son église pendant la messe. Orateur hors pair, il possédait un charisme mêlé de passion qui conférait au divin. La chaire effaçant sa petite taille, le public restait hypnotisé par tant de prouesses verbales, d’éloquence, de rhétorique. Une hypnose collective empreinte de sacré. Lorsque d’un ton de prédicateur, il annonçait, levant le doigt au ciel, la présence de Dieu dans l’assistance, les bonnes âmes tremblaient d’émotion et les mauvaises de peur. Les gamins s’attendaient à voir la voûte centrale de l’édifice s’ouvrir au son fracassant de trompettes célestes, la lumière inonder l’église obscure et des angelots voleter comme des étourneaux autour de l’autel.
La communion, point d’orgue de la cérémonie, ne pouvait mieux porter son nom tant le curé et son auditoire étaient transportés par la foi sur les chemins de la rédemption. Amen.
L’ambiance retombait un peu à la sortie, la proximité de la terrasse du café avec ses convives rigolards et bruyants ramenait rapidement les fidèles à la concrète réalité, moins spirituelle sans doute, mais tellement plus humaine.