Sur la place il ne restait plus que le papè Lamy assis sur son banc. Comme je le rejoignais, une rafale de vent vint bénir notre rencontre. Une averse de quelques secondes nous aspergea de gouttes glacées. Papé Lamy, protégé par sa casquette montra le ciel d’un doigt tordu.
-« Marsetjo » déclara-t-il.
-« Quoi ? » caquetais-je.
-« Marsetjo » répéta-t-il. En lisant l’incompréhension sur mon visage, il continua :
-« Tu vois pitchot, l’avantage du provençal sur le français, c’est que tous les mots français, tu peux les traduire en provençal, mais que la langue d’Oc pour la traduire, le français il lui manque des mots, pardine ! Marsetjo, ça veut dire qu’il fait un temps de mars, mais si ça parle de quelqu’un ça veut dire qu’il perd un peu la ciboule… Elle est bonne cette idée de conjuguer un mois ? »
-« Heu.. Oui ! Mais pourquoi mars ? »
-« Ah ! Ah ! Tu vois le mois de mars, c’est un mois qui ne sait pas ce qu’il veut ! Il est un peu fada, Il est coincé entre l’hiver et le printemps et c’est la bagarre ! »
-« Comme au catch ? »
-« Pareil ! D’un coté, tu as le soleil, le ciel bleu, les nuages blancs, de l’autre le ciel gris tout moustous, la pluie, le froid, et au milieu, comme un arbitre, Monsieur le Mistral. Et tout ça boulègue, que ça te fait un mescladis où les nuages noirs et blancs se courent après. Une rincette de pluie par ici, et un petit rayon de soleil par-là. Pareil que pour le catch quand ils sont si emmêlés que tu sais plus à qui est le pied du printemps ou le bras de l’hiver "
-« C’est rigolo ce que vous dites »
-« Plus rigolo que la grammaire française ? »
-« Oh ! Oui ! »
-« C’est normal, moi je suis le grand-père provençal »
Il se mit à rire tout seul, alors que les douze coups sonnaient à l’horloge.
-« Vous allez pas à la soupe ? C’est midi ! »
-« Mon pichou, je vis à l’heure ancienne moi, celle du soleil et il n’est que onze heures là-haut. Mais tu as raison, je vais m’avancer ; ma fille, elle, elle vit à l’heure nouvelle, alors on a coupé la poire en deux et je vais manger à la demie. Je te laisse la place chaude, tiens ! ».
Il se leva en souriant et répéta « la grammaire française et moi le grand-père provençal ».
De mon coté je me demandais comment les gens arrivaient à se nourrir avec la moitié d’une poire, ils devaient manger encore plus vite que moi.
A SUIVRE