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11 novembre 2022 5 11 /11 /novembre /2022 20:08

Cher grand père, tu avais échappé à la tuerie de la Grande guerre, aux balles ennemies mais aussi à celles fratricides qui fauchaient pour l’exemple. Dans les repas de famille tu chantais la chanson de Craonne, cet hymne funeste chanté par ceux qui allaient laisser leur peau à Craonne sur le plateau, chanson interdite alors. De ta campagne de pacification au Maroc, tu avais aussi ramené une chanson. Mon père ne se souvenait que du refrain : « On va civiliser les marocains/ comme la chose n’est pas commode/ à coup de sabre dans les reins/ civilisation à la mode » Tu avais tout compris de cette saloperie qu’est la guerre… Ta femme aussi, aux résistants venus lui proposer de fusiller deux allemands devant ta maison, pour te venger, elle leur a répondu : « Tout le sang de l’armée Allemande ne me rendra pas mon pauvre Louis » Qui pouvait rêver d’une aussi touchante épitaphe.

Tu es ainsi devenu « pauvre Louis » « pauvre papa » « pauvre oncle ». Pauvre étant le paravent pudique que nous glissions devant nos morts. Je n’aurais connu de toi qu’une chaussure, mais elle m’a aidé à comprendre et à avancer…

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19 octobre 2022 3 19 /10 /octobre /2022 13:15
C'est la crise!

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19 octobre 2022 3 19 /10 /octobre /2022 13:08

Une colonne allemande, affolée par la débâcle, décimait toute vie sur son passage, tuant hommes, chevaux et chiens. La  peur avait changée de camp. Surpris dans leur travail, les quatre ouvriers partirent en courant. Mon grand-père, le plus vieux tomba en premier.

« Je suis touché, laissez-moi, je vais faire le mort » dit-il en occitan à ses compagnons prêts à lui porter secours. Ils continuèrent leur course contre la mort, franchissant le canal à la nage, l’Espagnol  qui avait fui son pays ou l’aigle s’était fait les serres, fut touché à son tour et coula. Les deux jeunes survivants alertèrent le village « L’Espagnol est mort mais Louis n’est que blessé »

Les uniformes se sont approchés de toi. L’un deux t’a retourné de la pointe chaude de son arme assassine. Pauvre Papé, on ne trompe pas les experts de la mort. Etait-il jeune, Etait-il blond ? Nazi surement ! Tu as ouvert les yeux et proposé leur miroir en riposte. N’ont-ils pas pu soutenir ton regard ? N’ont-ils pas pu supporter la noirceur de tes cheveux ou ta moustache fournie ? Leur as-tu dit quelques mots d’allemand que la première guerre t’avait appris ? Qui sait ? Alors à bout portant, il a vidé, ils ont vidé les chargeurs de leur mitraillette. Pourquoi tant d’acharnement sur ton corps ? Un corps déjà usé par la guerre. Mon père gardait une chaussure que tu portais ce jour-là. Ce fut le seul objet qui ne soit pas éclaboussé de sang ou troué de balles. Objet aussi dérisoire que symbolique. J’avais une chaussure en guise de grand-père.

 

A SUIVRE mais plus tard...

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16 octobre 2022 7 16 /10 /octobre /2022 08:05

Comment mes grands-parents s’étaient-ils rencontrés ? Là aussi je l’appris au détour d’une conversation. Ma grand-mère, comme toutes les jeunes filles du village, avait été marraine d’un jeune soldat parti au front, un « fiancé » peut-être. Il n’en était pas revenu, par contre le soldat qui vint lui parler de lui est devenu mon grand-père. A la fin de tant d’années de guerre, Louis  fondait famille dans son pays retrouvé. Un enfant, un travail de cheminot, et le voilà  marchant sur les voies, un bâton à la main pour tester les traverses.

« Le petit mas en ruine s’appelait « mas Henriette » comme ta grand-mère et le chemin qui y conduit est l’ancienne voie du chemin de fer « l’Intérêt Local »

Plus tard devant mes yeux effarés d’adolescent, les images de « Nuit et brouillard » m’en apprirent bien plus  que tous les cours d’histoire et de morale réunis. A l’horreur, il fallait ajouter la barbarie, le génocide. Cette guerre avait franchi un degré dans la monstruosité. Par bribes l’histoire de mon grand-père me revint à l’esprit. En raison de son âge, l’armée l’avait épargné, mais pas la faim. Il avait coutume de dire, « cette guerre n’aura pas la peau, juste la graisse ». Pour quelques sous de plus, il reprit le travail pénible des champs et de la vigne… La faucheuse l’y attendait.

A SUIVRE…

 

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12 octobre 2022 3 12 /10 /octobre /2022 08:00

Une chaussure en guise de grand père.

Avec un titre pareil, on pourrait croire à une farce. Mais non, tout cela est bien réel et si farce il y a, celle-là est faite de chair à canon.

Je n’ai jamais connu mon grand-père paternel. La guerre ne l’a pas voulu. Enfant cela ne m’avait pas choqué, bon nombre de mes camarades de classe avaient, eux aussi, des branches sciées  dans leur arbre généalogique. C’est donc sans grande émotion que j’accompagnais mon père au cimetière pour se recueillir sur la tombe du sien. Je l’aimais beaucoup cette tombe : un minuscule lopin de terre bien défini par une bordure de pierres volcaniques et couvert de gravier blanc. Elle se donnait des airs de jardin d’agrément, surtout avec ces grands tombeaux de marbre lisse et froids  comme voisins. J’aidais à enlever les mauvaises herbes qui venaient se réfugier sur le ventre de mon  grand-père, sans même penser à l’homme qu’il avait été. Je rêvais plutôt de rester jouer là, sous ces cyprès centenaires dans un silence seulement troublé par le vent soufflant dans la ramure et par les pas des visiteurs dans le gravier de l’allée.

Parfois ma grand-mère sortait d’une boite de fer blanc, de vieilles photos. Elle les étalait sous mes yeux curieux, faisant défiler, grâce à ces bouts de cartons racornis un passé qui m’était complètement inconnu. Ces gamins en costume de communiant, un missel à la main et aux mines d’archanges étaient devenus des adultes sévères. Ces frêles fillettes aux cheveux et aux grands yeux noirs, s’étaient transformées avec le temps, en énormes matrones au chignon grisonnant. Par contre le temps s’était figé sur le regard de  mon grand-père, un mélange subtil et harmonieux de tristesse et de solennité.  

« Il est mort avant que tu naisses, à la fin de la dernière guerre. » soupirait ma grand-mère alors que mon attention était plus attirée par la boite métallique que je convoitais pour y ranger mes billes.  Je retrouvais ce regard accroché aux murs de sa vieille maison obscure, ici sur le visage d’un fier cavalier, là sur celui du nouveau marié. Je posais peu de questions, je savais seulement que grand-père avait fait la guerre de 14/18 dans la cavalerie. Puis, il avait continué  son service militaire en Afrique du Nord,  pour une soi-disant pacification. Ma grand-mère me montrait le portrait jauni d’un cheik arabe que seul trahissait le regard, ce regard si profond.

« Une fois il a sauvé sa compagnie en se déguisant en bédouin pour aller chercher et ramener  de l’eau » j’achetais des « petits soldats –starlux- » en costume saharien, Edith Piaf chantait « mon légionnaire » et je rêvais du courage de papé Louis

A SUIVRE

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7 octobre 2022 5 07 /10 /octobre /2022 16:29

 Alors notre compensation filtrait dans le regard échangé avec mon frère, ressemblant à la solidarité des forçats aux costumes rayés. Nous murmurions doucement: "Karapas! Karapas! Karapas!" Mot maléfique, formule secrète, magique, qui transformait notre déception en sourire éphémère. L'humour ça aide même si c'est sur ton dos que tu te le fabriques.

–"Vous voulez les garder? " demandait mon père. Tu parles d'une question! On évoquait la chaleur, le pull manquant.. Nous aurions bien le temps de jouer aux doryphores tristes. (Cette année les carapaces étaient à rayures).

Surtout que je me plaignais, mais mon frèrot de quatre ans mon cadet, risquait de porter la mienne un ou deux ans de plus.

Je te parierais que sa venue au monde a inspiré à mes parents des réflexions du genre: "Il pourra profiter des habits du grand". D'autant que, bien sage, je n'usais pas, juste un peu mes baskets avec le foot.. Mais, mon père avait trouvé la combine, il les vulcanisait à chaque bâillement ou déchirure. Et lorsque abondaient les rustines, il les passait au brou de noix. Si, si, même que mes collègues moqueurs me demandaient si c'était du cuir. Imagine un peu les chaussettes après une bonne suée.. Bonjour la honte!

Un jour ma mère me proposa un manteau chic que je pourrais porter même pour aller en classe. Pelure crème, avec col noir en velours satiné, la classe! Je refusais, ce manteau je l'avais vu porté par un autre, le fils à des amis plus fortunés que nous. Pauvre d'accord, mais pas mendiant, un peu comme cette fille qui en classe traînait son caban avec les étiquettes de soldes, juste pour foutre la honte à sa mère et afficher sa condition. Génération rebelle! 

 Pour en revenir à mon histoire, quand je retourne dans ma ville d'enfance, je peux me tromper dans les rues, les places, mais pas sur le magasin qui vendait les carapaces. J'ai même un peu peur d'être d'un coup transformé en scarabée.

FIN

 

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4 octobre 2022 2 04 /10 /octobre /2022 18:38

img166Les teintes claires, élégantes, que l'homme flattait avec talent devenaient trop salissantes dans la bouche de notre mère. Les blazers bien coupés, gracieux, ne méritaient pas que nous les portions vu notre turbulence et nos bagarres. Tu parles! Ces habits on ne les portait que le dimanche, et encore, fallait une occasion! Alors pas de risques de les froisser, vu que ces jours-là, en même temps qu'eux on enfilait l' ennui amidonné de cérémonies quasi-religieuses.

Finalement, fatigué, vaincu, le marchand avouait un "je vois ce qu'il vous faut!" Riche, au moins, du double sens. Et il ressortait victorieux de dessous les cintres brandissant des trophès soldés, dont il mentionnait en priorité le prix.Mon père soupesait et appréciait "c'est épais".

Déguisés en épouvantails, nous tournions sur nous-même, toute contestation était étouffée immédiatement par le vendeur "A ce prix-là, Madame!" Cet argument vengeur produisait toujours son effet, nous, nous avions vite pigè: c'était classé… Cette rigidité du tissu, son poids, ses couleurs fadasses, nous y avions droit! En plus, rigole pas où je me fâche: il fallait avoir les mêmes dans la même matière et colories avec mon frangin. On ne faisait pas assez gland comme ça sans doute, il fallait faire la paire!.

Ma mère commençait immédiatement à trouver les avantages: "Avec une pince là, en reculant les boutons…" Je me découvrais mince, je retrouvais ma taille…

"Avec un bon ourlet aux manches…" Tiens mes mains apparaissaient…

Puis, se retournant satisfaite: "Tu as vu Papa, il y a même des boutons de rechange cousus à l'intérieur" –Le luxe-

Mon paternel intervenait: "ça vous plait les petits?" Tu te marres déjà mais qu'est-ce que tu voulais qu'on lui réponde?  On avait bien essayé: "Hé ben, ça pèse et ça gratte!"

–Mais imbécile, c'est pour l'hiver, si tu le trouves lourd, c'est que c'est chaud, et ça gratte parce que tu ne portes pas de pull dessous!" L'estocade quoi! A SUIVRE

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13 octobre 2021 3 13 /10 /octobre /2021 09:18

"On va prendre un exemple" dit le maître d'école.. Sa petite taille, ses lunettes rondes, sa blouse grise le recouvrant comme une housse de meuble, laissant dépasser des jambes de pantalons maigres et tirebouchonnées lui donnent un aspect désuet, une fragilité qu'on devine maladive, une timidité dans la démarche.. Aujourd'hui, la leçon de calcul porte sur les bénéfices. Et nos tronches de poupons biens nourris, plus préoccupées par la récré de toute à l'heure n'en saisissent pas les nuances.. Les godillots remplis de souvenirs de shoots victorieux, les poches gonflées de billes nous entraînent loin des terrains marécageux, peuplés des valeurs de notre brave monde, gain, profit, perte, crédit, enfin tout l'attirail nécessaire pour passer sa vie dans une épicerie à languir le client boulimique.. 

"Venez au tableau vous deux" .. Aie! Ça se complique le maître m'a désigné avec mon pote Francis. Il nous rejoint, portant un pot de fleur qu'il pose entre nous sur le bureau.

"Voilà" dit-il "Francis tu as acheté 50 centimes ce géranium, et tu veux le revendre à ton copain. Combien tu lui en demande?"

"50 centimes Monsieur" répond mon copain.

"Mais tu n'y es pas du tout. Réfléchis! Tu l'as certes achetée a ce prix, mais tu t'en ai occupée, tu l'a soignée cette plante, tu l'as arrosée, taillée, entretenue, transporté et pris le risque de tout perdre"

Francis, muet, n'en revient pas d'avoir réalisé tout cela en si peu de temps. Et cette fois au renouvellement de l'interrogation il répond :"55 centimes" d'une voix plaintive, craignant de remettre en cause notre amitié par une telle arnaque.

"Bien" dit le maître, et se retournant vers moi " tu viens de l'acheter, combien tu me la revends?" J'ose à peine surenchérir à 60 centimes craignant de me faire traiter de voleur. Se chicaner entre élèves passe encore, mais avec le maître! Surtout que le géranium n'est pas une plante très délicate et que l'eau de la fontaine est gratuite. Mais, ça lui convient au petit homme gris. Et il se lance dans une explication compliquée sur le pourcentage des bénéfices qui dépendent de la fragilité de la marchandise. Enfin! Si tu as fait CM1 tu dois comprendre, sinon achète "capital". En regagnant ma place, j'entrevois le métier de commerçant d'un autre œil.. loin du dicton de mon grand père maçon, déclarant toujours gagner son pain à la sueur de son front… A suivre.

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8 juillet 2021 4 08 /07 /juillet /2021 17:03

« Vive les vacances, plus de pénitences, les cahiers au feu et le maître au milieu ! »
Plutôt que le tocsin, juillet avait sonné la délivrance pour le maître d’école. Déjà la chaleur nous faisait déserter la classe pour le parc, attenant à la cours de récréation, où l’ombre abondante nous servait de refuge. Sous la ramure, les cours prenaient des allures buissonnières. Les discussions trouvaient un thème de saison, un thème majeur : Le Tour de France Cycliste.
L’instituteur nous a montré la carte avec le tracé de la « Grande Boucle ». En bon pédagogue, il a su tirer de l’événement une leçon de géographie, sans doute la plus suivie de la saison. Les cancres en ont surpris plus d’un en citant les cols des Alpes et des Pyrénées. Rien d’étonnant à cela, chacun d’entre nous possède l’itinéraire, à son domicile, punaisé contre une porte et pronostique en famille le coureur qui franchira en tête le Galibier ou le Tourmalet.
Le petit écran n’a pas encore envahi les foyers, seule la radio, nous relie à l’événement. Si nous sommes privés d’images, nous n’en sommes pas frustrés, la verve journalistique sait nous faire vibrer. Les reporters en rajoutent même un peu, en nous faisant partager leur passion en direct. Q’une échappée importante se dessine et ils évoquent « la chevauchée fantastique », que les leaders s’affrontent dans un col et cela devient « un combat de titans », qu’un « campionissimo » essuie une défaillance et c’est « l’homme au marteau » qui l’a frappé, ce « forgeron des cimes » impitoyable qui écrase à coups de son énorme masse les « rescapés » venus pédaler sous sa moustache fournie. Qu’un orage éclate en montagne dans ce « décor dantesque » et c’est le « déluge du jugement dernier qui s’abat sur les forçats de la route »…
Dans nos têtes d’enfants, il n’en faut pas plus pour graver à jamais un attachement particulier à cette compétition. D’ailleurs les adultes, eux aussi, se laissent emporter par la fièvre cycliste. La canicule de la journée rend amorphes les plus vaillants, mais lorsque le soir tombe et que l’air devient plus respirable, tout le monde sort la chaise pour prendre le frais. Les mères de famille profitent de l’occasion pour donner un dernier coup de balai avant d’aller, à leur tour, rechercher la fraîcheur dehors.
-Allez zou ! Sortez les cadières je vais passer l’escoube.
Pour mon frère et moi c’est le signal, le moment venu des transactions. Nous nous réunissons avec d’autres gamins, organisant un trafic de vignettes représentant les « héros de la petite reine ». Chaque soir la cotation fluctue suivant les résultats de l’étape. Gloire à celui qui possède l’effigie du vainqueur du jour. Le marché s’avère porteur puisque l’épicier qui vend les caramels, proposant les images en cadeau, est en rupture de stock. Pour satisfaire ma passion, je sacrifie mes billes dont la cote est en chute libre. Mais qu’importe ! J’ai la satisfaction d’avoir entre les mains le visage et le palmarès de tous ceux dont on va parler. Je suis un peu leur directeur sportif, je leur prête des intentions de victoires, des projets d’attaques, des ambitions d’échappées solitaires. Je soigne ces bouts de carton avec une sollicitude égale à celle que l’on porte aux objets de culte.
Tout le village ou presque est dans les rues, en petites grappes de sièges ou autour des bancs de pierres. Tantôt sous l’éclairage public et les charges de moustiques, tantôt dans l’obscurité  complète, seulement repérables à la blancheur des tricots de corps des hommes.
Des tribunes s’improvisent pour débattre de sujets d’actualité et inutile de préciser que la plus importante traite du Tour de France. Les voix montent, se chauffent, attirant un public connaisseur ou néophyte . Tout est prêt pour ces joutes verbales. Les hommes, assis à califourchon  sur leur chaise, s’emportent parfois, mais jamais au delà d’un pari pour une bouteille de grenache ou un paquet de tabac.
Pourquoi tant de bruit, de passion ? Simplement parce que toutes les équipes possèdent leurs supporteurs. Le charbonnier d’origine italienne encourage la « Squadra azura ». Les réfugiés espagnols ne jurent que par Bahamontes  « l’Aigle de Tolède ». Des belges, oubliés ici depuis la deuxième guerre mondiale possèdent un lot de formidables sprinters. Et bien sûr, les franco-français ne sont pas en reste, au contraire cette année l’équipe nationale compte pléthore de leaders, si bien que, suivant les reporters cela tourne à la « guerre fratricide ».
Le clan des tricolores se partage entre les pro-Bobet, les supporteurs de Géminiani, les défenseurs de Roger Rivière et les fanatiques d’Anquetil. Je devrais d’ailleurs dire le fanatique d’Anquetil puisque c’est de mon papa qu’il s’agit.
Cette année nous assistons à un changement de génération où la « vieille garde » des Coppi, Bartali, Bobet, semble devoir laisser la place à « des jeunes loups aux dents longues ». Mais cela n’empêche pas Robic dit « tête de cuir », parce qu’il porte toujours un casque à boudins, d’avoir encore des admirateurs. On parle de son courage, de cette rage à ne jamais s’avouer vaincu. N’a-t-il pas gagné son Tour dans l’ultime étape, sans avoir porté le maillot jaune ? « La tunique mythique »  tant convoitée. J’aime bien ce minuscule bonhomme avec sa tête de petit vieux. C’est un sacré malin, aux sommets des cols il se fait donner un bidon de limaille de fer afin de compenser son manque de poids dans les descentes. Ceci au grand dam des commissaires de course qui le sanctionnent pour ravitaillement illicite. Comment je sais cela ? D’abord je ne manque aucun débat nocturne, ensuite j’ai toujours l’oreille collée à la radio ; mieux ! mon père a acheté un des premiers postes à transistors de la contrée. Cela nous permet de ne rater aucun rendez-vous. Flashes d’informations offerts par les articles « Souple dur » :
-Souple comme le pas d’une danseuse… Toyoyoyo ! Dur comme le fer… Blong.
Toyoyoyo est le bruit qu’est sensé faire le pas d’une danseuse, ça ressemble à un élastique qui vibre, et « Blong » pas de doutes c’est le bruit d’un coup de marteau sur l’enclume.
Dans le groupe des acharnés mon père possède sans doute le plus d’informations puisqu’il écoute en plus, juste avant le repas du soir, les analyses savantes des spécialistes. Cela lui confère une aura particulière, à moins que ce ne soit à cause du « Transistor ».
-Hé ! Fédérico (Bahamontes) il manche des glaches en haut de la montagne tellement il est en abanche ! » claironne fièrement le représentant ibérique, le béret en bataille.
-Ho ! ton aigle de Tolède, c’est vrai qu’il grimpe bien, mais il descend comme un papè, il a la cagagne de se casser la pipe ! 
-Peut-être mais en attendant y manche des glaches pendant que les chautres y se crèbent ; té ! et le béret fait un demi tour sur la tête, signe que la discussion risque d’être animée.
-Bon ! Pour manger des glaces en haut des cols, ton Bahamontes c’est le meilleur, mais à Paris il sera à vingt minutes de Géminiani. Vous allez voir « le grand fusil » dans les Alpes, y va faire péter la baraque, ou alors.. ou alors… vé .. Je suis plus boucher !
-Doucement petit! tu crois que Bobet va le laisser faire ?
-Ma ! dit Zeminiani ? c’est presque oune italien, no ? mais il vaut pas Coppi.
-Mon pauvre ton Coppi sé fa viél ! »
-T’as rien à dire, ton Bobet c’est pas un perdreau de l’année, non plus !
C’est bien parti, les boutades et les moqueries vont succéder aux arguments, Bobet a la réputation d’être un adepte de la diététique, mais aussi de, comment dire … de l’abstinence.
-A cause que le vélo, c’est un sport terriblement dur et qu’il faut choisir entre la femme et la gloire.
Justement à cet instant, une femme s’est aventurée dans le cercle des tribuns pour inviter son mari à aller se coucher.
-Oh ! cigalou ! ce soir tu choisis pas la gloire !
Et tous s’esclaffent de rire.
Souvent ce cercle des « cadières » est le dernier à laisser le silence reprendre possession de la nuit. Pendant toute la durée de l’épreuve, la population veillera plus que de coutume. Et ce soir plus encore car demain le Tour vient à notre rencontre et traverse le département. Je m’endors avec délice, mes héros de carton sous l’oreiller.
« Demain sera un grand jour, demain on va voir le Tour ! » on chante ça avec mon frangin.
On dit voir le tour, et non voir passer le Tour, c’est une nuance, mais de taille.
Mon père a étudié le parcours de l’étape et sait ce qu’il faut rechercher : un endroit un peu pentu, après une longue ligne droite, pour les voir arriver de loin et avec de l’ombre.. « Parce qu’on n’est pas assez cabourd pour rester planté pendant deux heures en plein cagnard ! », d’ailleurs on fera un pique-nique afin que l’attente paraisse moins longue.
Ah ! ces pique-niques ! Mon père ne les imagine pas sans un minimum de confort. Chez nous pas de nappe jetée sur l’herbe avec un panier en osier au milieu et des convives assis en tailleur autour. Non ! non ! il nous faut une table de camping bancale, des fauteuils en toile avachie, des assiettes molles en matière plastique verte, des couverts tordus et une glacière bricolée maison. Et quelle glacière !
Ma mère lui a trouvé un nom qui lui va comme une housse : « l’enquestre ». L’enquestre donc est un objet unique, à la limite du meuble de cuisine pour la fonction et de la niche de chien pour l’encombrement. Tout en bois, en double épaisseur avec de la laine de verre entre. Il impressionne par la taille mais ne peut contenir que deux bouteilles. Ce monument de l’art rustique est coiffé d’un couvercle orné d’une poignée en fer pour bien faire comprendre qu’il est transportable. Plus d’un pourrait en douter… De plus, il doit être gavé de glaçons pour jouer son rôle. C’est fou ce que le bois absorbe l’humidité, à chaque sortie l’enquestre grossit un peu plus, ses parois se gondolent et se couvrent de  vergetures et les clous lui dessinent d’inquiétants grains de beauté rouillés. Il va séjourner une bonne heure dans le coffre de notre 4CV bleu marine -une couleur conseillée pour les expériences sur l’énergie solaire mais peu propice pour conserver la limonade au frais-.
La glacière occupe donc une place si importante que nous ne pouvons transporter des sièges pour tous. Mais, pas d’inquiétude, une fois couchée sur le coté elle jouera à merveille le rôle de banc pour mon frère et moi, c’est même à se demander si ce n’était pas la première idée de mon paternel. Nos mentons affleurent le plateau de la table, mais nous ne protestons pas. Pour une position plus conventionnelle, il faudrait la mettre droite et nous asseoir dessus. Avec la poignée dans le cul, merci bien ! Et puis nous sommes là pour le Tour que diable ! mon père a effectivement trouvé l’endroit idéal, un nid d’ombre au sommet d’une légère montée en ligne droite…
 
Les premiers véhicules de la caravane apparaissent à l’heure du dessert, cela tombe bien, nous pourrons consommer sur place les gourmandises grappillées par nos bras qui s’agitent comme des sémaphores au passage des publicitaires. Pour le moment, nous sommes plus riches en visières en carton, revues périmées et prospectus divers qu’en sucreries. Reste le spectacle, nos yeux d’enfants sont émerveillés par  ces camions bariolés, transformés pour la circonstance en tube d’aspirine géant (Ouf merci Aspro !) en énorme boite de cacao (le petit déjeuner familial BA-NA-NIA) ou surprise en gobelet « Soupledur » (Toyoyoyo, Blong !)
D’ailleurs un gobelet à roulettes ralentit à mon niveau et une hôtesse souriante m’interroge :
- Souple comme le pas d’une danseuse et dur, comme quoi ?
-Le fer, je réponds et voilà-t-il pas qu’elle m’offre un gobelet Soupledur ? un vrai ! Incroyable ! j’ai gagné ! Je me demande s’ils vont en parler pendant le flash d’information « sur la route du Tour » ?
Ne croyez pas que je sois naïf, une fois les journalistes ont parlé de nous à la radio, et notre photo s’est étalée dans les journaux. Oh ! pas en première page ,non ! dans celle consacrée au sport, c’est déjà pas mal. Mon père avait confectionné une pancarte où était écrit « pour Zaaf » et à laquelle était accrochée une bouteille de vin. Marrant non ? Bien sûr il faut savoir que quelques années auparavant, Zaaf, un coureur marocain je crois, avait tenté une échappée dans une étape caniculaire ou le peloton était plus préoccupé de « chasser la canette » que le fugitif. Ce dernier, assoiffé, prit et but ce que le public lui présentait. Les généreux spectateurs méridionaux offraient ainsi le produit de leurs vignes –la récolte non vendue prétendaient les mauvaises langues-. Si bien que Zaaf, de surcroît musulman et donc non aguerri à la boisson des Dieux, commença à zigzaguer sur la chaussée avant de tomber dans le fossé. Il tenta bien de repartir mais en sens inverse pour enfin s’écrouler ivre-mort.
 
Pour l’anecdote, le lendemain, une fois dessaoulé, Zaff se présenta pour prendre son dossard comme si de rien n’était. Les commissaires de course  lui rappelèrent son abandon de la veille, à vingt kilomètres de l’arrivée.  Il proposa alors, avec la naïveté qu’on imagine, de couvrir la distance avant le départ de l’étape afin de retrouver sa place dans le peloton. Hier la bouteille pour Zaaf, et aujourd’hui à moi la timbale !
Je ramène le trophée à ma mère, qui ne perdant pas son sens pratique me conseille :
-Essaie d’en resquiller un pour ton frère.
Facile à dire, les spécialistes du Toyoyoyo rt du Blong sont déjà loin.
-Regardez les « Cinzano » averti mon père en montrant du doigt l’horizon qui vacille sous la chaleur. En effet, ils apparaissent au loin, ce sont bien eux, des motards qui font des acrobaties sur leur machine. La réclame a réussi à faire assimiler le nom de la marque à un numéro de cirque. Cinzano sonne comme Zampano dans la Strada.
-Tu fais ça toi, avec ta moto ? interroge un voisin.
-Non ! tu veux rire ?
-Hé bien, c’est que tu bois pas assez de Cinzano, tu devrais essayer !
Un air d’accordéon nous détourne de  cet esprit fort qui ose la raillerie. C’est Yvette Horner ! ou plutôt un enregistrement. D’ordinaire elle joue sous une bulle de plexiglas, mais aujourd’hui avec la chaleur et le soleil, seules les cigales sont capables de faire de la musique.
Enfin les motos des radioreporters, ceux qui parlent dans le poste, se présentent à faible allure. Ils nous annoncent « qu’ILS arrivent », « qu’ILS ne sont qu’à cinq minutes ».
Un bon quart d’heure plus tard, LES voilà enfin au bout de la ligne droite. Grosse chenille mouvante et bariolée aux mille reflets d’argent. Le petit raidillon qui, pensait-on, devait les ralentir est au contraire avalé à toute allure. « FLUSSSCH » LES voilà qui passent, LES voilà passés. J’ai juste le temps d’apercevoir un bout du maillot vert d’André Darrigade « le sprinter des Landes » et une chevelure blonde sur un maillot de l’équipe de France. Je l’attribue à Anquetil, pas de doute c’était Anquetil. Dans le défilé des voitures suiveuses, cinq ou six retardés remontent le cortège à furieuses pédalées. Plus loin, le camion-balai tient compagnie au dernier, masque de douleur, visage défait, il pédale comme un automate. Les applaudissements redoublent, même s’il ne fait aucun doute qu’il ne tardera pas à abandonner, dans un endroit plus discret, sans public.
C’est fini pour nous aussi, doucement et dans un désordre général, la circulation se rétablit ôtant à la route toute la magie de l’instant passé . Je reste planté là, rêveur, la tête débordant d’images et le bruit agréable des roulements bien huilés dans les oreilles…
Cette année là, Charly Gaul gagnera le tout. « L’ange de la pluie » triomphera de ses adversaires dans les Alpes sous un déluge « apocalyptique ». C’est un luxembourgeois et il n’y a pas de représentant du Grand Duché dans notre communauté. Qu’importe, l’an prochain il aura ses supporters dans le cercle des « cadières » et des gens parleront de lui comme s’ils avaient été à l’école ensemble !
 

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30 avril 2021 5 30 /04 /avril /2021 16:27

img781.jpgLorsque j'étais enfant, ça remonte au millénaire précédent quand même, le port de la blouse  était obligatoire à l'école. Grise pour les garçons, rose ou bleue pour les filles et surtout à la charge des parents. Pour les intellos c'était, soi-disant, un moyen de masquer les inégalités sociales. C'est vrai qu'à cette époque, les enfants de condition modeste, dont j'étais, portaient des vêtements tout "pétassés" c'est à dire rapiécés. Pour les pragmatiques, c'est à dire bon nombre de maman, c'était surtout pratique pour éviter les taches et les accros  sur les habits. Autant te dire que j'ai toujours été du coté des pragmatiques. En effet, les familles qui en avaient les moyens achetaient de belles blouses à leurs enfants, deux par an, portées en alternance.. Faut dire qu'avec l'encrier sur le bureau et le porte plume toujours prêt à te dégueuler sa cargaison d' encre violette dessus, ou avec l'essuyage furtif de la main blanchie de craie, c'était pas vraiment un luxe. Pour moi c'était une blouse rustique, rêche, d'un gris mauvais et de trois fois ma taille, avec des ourlets comac pour quelle me fasse plusieurs années. Pour savoir l'âge de la blouse, tu n'avais qu'a compter la trace des ourlets défaits, un peu comme avec les cernes pour les arbres coupés. Et encore, comme on la repassait à nos jeunes frères, l'ourlet remonté pouvait induire en erreur. On ne la quittait que le soir pour aller au lit. A la sortie de l'école elle montait aux arbres ou jouait au foot avec nous, inutile de te dire qu'elle ressemblait plus à un patchwork qu'à une toile de Soulages (un peu de culture ne peut pas te faire de mal). Bref j'enfilais ça comme une cote de maille.  Avec nos blouses sombres et leur manque d'élégance, nous gagnions le surnom de "marchand d'huile", référence au commerçant qui passait dans le village avec sa camionnette et sa blouse pleine de bougnettes (tâches) d'huile. Mais même sans cela,  la discrimination sociale sautait aux yeux! Les belles blouses appartenaient au beau linge (le sens des mots quand même) : les bourgeois et les espèces de pelures rafistolées aux enfants de celles qui lavaient le linge des dit bourgeois. La boucle était bouclée. Mais même si la blouse avait été irréprochable, des dizaines d'indices  t'aidaient à savoir à qui tu avais à faire: La coupe de cheveux, version bol ou taille haie, les chaussettes (a cette époque, été comme hivers, c'était le règne des pantalons courts.) en laine tricotées par nos mamans, avec des élastiques qui te garrottaient la circulation sanguine,  ou qui trop lâches te transformaient les guibolles en tire bouchons, et enfin les chaussures, des godillots qui te lestaient bien en cas de coup de Mistral. Sans compter la cape, la pèlerine épaisse et lourde comme un char russe mouillé. Y avait  pas photo, mais on s'en caguait! La pauvreté n'est pas la misère et ne nous empêchait pas d'être fiers de notre condition. Nous n'avions pas besoins de jouets onéreux, avec un bout de ficelle, un sillon  on fabriquait un arc, avec des roseaux des flèches et des épées, un vieux couvercle de poubelle nous servait de bouclier, et fallait pas s'amuser à se mettre en travers de notre chemin. Le monde nous appartenait. Nos blouses grises  festonnées d' accros et de pétas, flottaient comme des étendards flamboyants dans le vent de l'histoire..

Allez Marcel, mets moi un coup de Marseillaise..   

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