CHEZ MARINETTE
Chaque matin, il va au café,
Boire son café.
Mais c’est surtout pour lire le journal,
Savoir s’il y a un nouveau mort dans le quartier.
Un qu’il connaît. Un enterrement,
De temps en temps, ça tue les gens.
Ça tue le temps.
Au bout du comptoir,
L’homme au nez en forme difforme
De bouchon de carafe,
Trempe sa truffe dans un ballon de rouge.
Il parle football, enfin, quand il parle.
Au fond de la salle,
Assis toujours à la même place
Fume l’Indien.
Un œil sur la rue
Un œil sur le bar
Un œil sur la télé.
Il a le troisième œil.
Toute la journée, il lance ses messages enfumés
A la recherche de partenaires
De belote de re belote et dix de der
Le soir quand il les a trouvés,
Il abandonne sa place à un quatrième joueur.
Il n’a plus envie.
Les jeunes, en riant, l’appellent « Sitting Bulle »
Parce qu’il est toujours assis à rien faire.
Derrière le bar, la fille regarde au loin
Vers des voyages qu’elle ne fera jamais,
Des rivages secrets, des amours imaginés.
Comme tous les jours,
Il lui fait un petit signe pour lui dire qu’il va payer son café.
Comme tous les jours,
Il lui laisse une petite pièce jaune par amitié.
En partant, elle lui dit :
-Bonne journée !
Lui entend toujours :
-Va chier !
Ça ne le désole pas, elle est si jeune !
Tous les jours il va boire son café dans ce café.
Ça peut paraître monotone
Mais aujourd’hui il a pu voir la narine gauche
Du nez en bouchon de carafe,
De carafe à vin.
Trois poils gros comme des sarments de vigne s’en échappaient.
Il a réussi à les surprendre en évitant ses yeux.
Il avait croisé un jour son regard.
Ça lui avait rappelé celui d’un vieux singe
Qu’un cirque ambulant promenait dans le village.
Ses mains humaines serrées aux barreaux de la cage.
Un clown l’avait invité au spectacle.
Il n’y était pas allé…