Dans le village de mon enfance existait un endroit magique. Enfin surtout pour moi qui allais y jouer régulièrement. La magie, lorsqu’on est enfant va parfois se nicher dans des lieux communs, ordinaires, là c’était le lavoir municipal. Je m’y rendais souvent après le repas du midi, j’y attendais mes copains. La bâtisse ressemblait à ces maisons de poupées construites sur trois côtés. Son toit abritait deux grands bassins. Le premier, alimenté en eau en permanence par un tuyau recourbé qui faisait chanter un agréable glouglou, se déversait dans le second qui a son tour versait dans une rigole qui partait en serpentant dans le pré et allait se jeter dans un grand fossé. Là, bercé par le clapotis de l’eau, je contemplais les reflets de l’onde sur les murs. Des reflets argentés, aurait chanté Charles Trenet, des reflets en perpétuels mouvements, j’agitais parfois l’eau pour les voir se mêler, s’entrelacer, s’affoler même, c’étaient mes aurores boréales à moi. Une féerie de lumière sur le mur sombre du bâtiment. Il m’arrivait d’y crier très fort pour entendre l’écho résonner. Mais notre terrain de jeu était le petit ruisseau qui s’en échappait.
Ce petit ruisseau, nous y jouions régulièrement avec mon copain Momond, qui le connaissait par cœur. Grenouilles, tritons, sangsues y prospéraient, sans oublier bien sûr les têtards qui furent à l’origine d’une polémique virulente. En effet, il en fut trouvé dans le bénitier de l’église et le scandale éclata. Le curé dénonça une manœuvre blasphématoire des enfants de l’école laïque, manipulés par les diables rouges qui leurs servaient de parents indignes. Tous les soupçons se portèrent sur l’ami Momond. En fait il était pratiquement innocent, oui pratiquement, il n’avait fait que renseigner les grands de la classe de fin d’étude sur l’endroit où ils pouvaient trouver ces minuscules bestioles. Cette farce était destinée à se moquer des grenouilles de bénitier et les gamins de l’école catholique, ne furent pas les derniers à en rigoler.