Je m’asseyais dans sa chaleur, gravée dans la pierre, avec l’impression de conserver une partie de son ombre, comme s’il me la laissait pour garder le village. Mon imagination travaillait pas mal, j’avais besoin de mystères, de légendes, d’ailleurs j’en entretenais une de bien personnelle : je cachais des trésors.
Dans une boîte de sardines bien nettoyée, dont ma mère, complice, avait à grand peine tenté de redonner au couvercle sa forme initiale, je disposais un petit soldat cassé entouré d ‘un chiffon, une pièce de un centime, des graines de courges ou une vielle noix. Je tenais le tout fermé avec un bout de ficelle et profitais de la promenade dominicale pour enterrer mon trésor. Lubie de mars ?
J’allais toujours du coté du lavoir, la terre y était plus meuble pour ma petite pelle à pâtés. Là, à l’abri du mur, contre le fossé et au pied d’un arbre, avec comme seuls témoins le soleil et mon père, je creusais une petite sépulture, un temple secret fait de pierres plates et de brindilles, un abri à mémoire, où j’enfouissais mon trésor.
Puis, en guise d’oraison je restais là, planté, à contempler la plaine nîmoise. Des champs à perte de vue. Des champs cernés par des pelotons de cyprès militaires, bien alignés au garde-à-vous pour protéger les cultures du vent fou. Des pins, aux silhouettes plus fantasques, marquaient la présence d’un mas, d’une campagne. Quant aux platanes, ils bordaient la route à l’entrée et à la sortie du village. Je pensais à la foule de trésors cachés, aux pieds de tous ces arbres, par des générations d’enfants depuis le temps des héroïques gaulois.
L’air frais, le sifflement du vent, une odeur de futur printemps, un cheval tirant la charrue dans un halo bleuté sortant de ses naseaux, un homme besogneux s’affairant derrière lui, m’imprégnaient de sentiments nouveaux. Le ciel limpide, posé sur cet horizon plat aux teintes dégradées, n’y était sans doute pas étranger. Instants de quiétude ? Esprit bucolique ? je ne saurai répondre, mais les poésies apprises par cœur en classe me laissaient présager qu’un lien particulier nous unissait à la nature...
Assis à la place du papé, solitaire comme une sentinelle, je ressentais la même émotion, je savais que ces images s’incrustaient en moi pour toute la vie. Ces façades lépreuses, ridées de fissures mal colmatées, éclairées par cette lumière horizontale prenaient des airs de somptueux monuments romains, derrière elles, un ciel de cendre les couvait d’une ouate inquiétante.
A mon copain Olive, qui venait s’asseoir près de moi, je ne sus dire que deux syllabes : « C’est beau », alors qu’un nuage plus pressé que les autres apportait une nuance mouvante aux couleurs sablées des pierres.
-« On dirait un décor de théâtre » me répondit-il.
-« Tu es allé au théâtre, toi ? »
-« Oui, à l’opéra, avec ma tante voir Carmen »
-« Carmen ? La sœur de Manolo ? »
-« Mais non couillon ! Carmen c’est le titre de l’Opéra, comme Marius est le titre d’un film »
-« Excuse, j’y connais tchi à l’opéra »
-« Mais si, regarde ! »
Il se leva, les bras en l’air, dans l’attitude du torero qui va planter des banderilles et chanta :
-« Toréador !
Ton cul n’est pas en or
Ni en argent
Ni en fer blanc » et nous avions éclaté de rire.
Nous entonnions régulièrement ce refrain que la fanfare jouait les jours de courses à la cocarde.
-« C’est ça l’opéra ? » demandais-je interloqué.
-« Pas trop, non ! C’est vachement plus sérieux.. Bon ! Tu viens! On va chercher les autres ? »
Nous voilà partis, Je passais chez moi récupérer mon goûter avant de retrouver le chemin de l’école.
La petite grille franchie, une allée bordée de troènes nous conduisait au parc, notre parc, où nous espérions bien retrouver le reste de la troupe. Sur notre gauche, le champ qui nous servait de terrain de jeu venait d’être fraîchement labouré. A droite, un mur, longeant la végétation, était notre terrain favori de chasse aux lézards. Au bout de ce petit monde à l’abri des regards de nos parents, se dressait l’école, comme un prolongement naturel à nos jeux.
Arrivé à mi-chemin, un orage de terre, et mars n’y était pour rien, nous tomba sur la tête.
C’était « la guerre des trumes ».
Instinctivement, Olive et moi avions plongé à travers la haie. Derrière elle, nos copains, les mains remplies de mottes de terre, les fameuses « trumes », nous encourageaient à les rejoindre. Le jeu était simple : au grincement de la grille, il fallait se cacher et ne plus faire le moindre bruit, laisser passer les élèves devant nous, avant de les bombarder de « trumes ».