Une dizaine de jours plus tard, Mars faisait encore un caprice, sourires ensoleillés et larmes de pluie se succédaient. Je rentrais chez moi lorsque je le vis, pratiquement au même endroit que la dernière fois. Le pouce toujours aussi maladroit qui faisait plus penser au geste cruel pour les gladiateurs qu'à celui de l'auto-stoppeur. Je m'arrêtais. Lorsqu'il monta dans la voiture il esquissa un sourire, ou en tout cas, c'est comme ça que j'interprétais ce rictus sur son absence de lèvres. "Même trajet" je lui demandais, son nez oscilla deux fois. Je compris qu'il était inutile d'espérer une conversation, il avait les cheveux collés au front par la pluie, ce qui ne lui donnait vraiment pas un air rassurant. Cependant il apparaissait plus détendu, libéré de la peur qui l'habitait la dernière fois. Arrivé à l'endroit où il voulait que je le dépose il fouilla dans sa poche, en sorti une noix et me l'offrit, la posant sur le tableau de bord. "à toi" marmonna-t-il. Puis, comme la dernière fois, il disparut dans la nature. J'essayais d'en savoir plus grâce au rétroviseur, mais la pluie avait transformé la lunette arrière en un tableau impressionniste. Que devais-je faire de cette noix, qui roulait à chaque virage? L'offrande était étrange. Devais-je l'ouvrir et en voir sortir un bon génie qui ferait démarrer ma voiture du premier coup? Arrivé à la maison, je l'auscultais, tout me paraissait banalement normal. Puis j'eu l'idée de la planter, c'est une graine après tout, pourquoi ne pas essayer. J'avais un peu de place au fond du jardin. En plus, j'aime planter des arbres, j'ai l'impression chaque fois que ça me rend meilleur. Je fis un petit trou, y glissais la noix avec un peu de compost, rebouchais et arrosais, le noyer aime l'eau sans doute pour faire de l'humour noir. Le lendemain, mon voisin me félicita pour l'arbre que j'avais transplanté. Je tournais la tête vers le fond du jardin et je vis un noyer somptueux dans la ramure, élégant dans la silhouette. Majestueux!. Je m'approchais pour voir ce miracle de la nature lorsque vint se poser sur la plus haute branche un corbeau que je reconnus de suite. C'était lui, pas de doute! Je lui dis merci et il hocha deux fois le bec avant de s'envoler...
FIN