Une histoire commence toujours où une autre finit, surtout lorsqu’elle raconte la vie des gens simples. L’abbé Benoît, avait donc été muté dans la paroisse d’un village lointain. Le reproche qui lui était fait, fait mais pas avoué, était d’ordre diplomatique. Il avait osé pactiser avec l’ennemi rouge, il avait fréquenté, une fois, mais une fois suffit, son repaire, le « Café de la place ».
Il avait transgressé la loi de la séparation de l’église et du bistrot de Loule, comme disaient les soiffards. Il avait osé s’acoquiner avec les bravaches du « club des moures », ces fervents adeptes de l’idéologie socialiste. Ces communistes, ces anarchistes lui avaient tourné la tête au point qu’il les avait reçus dans la maison de Dieu. Au premier rang, sans respect pour la tradition de la séparation des hommes et des femmes. Il leur avait dédié un sermon entièrement consacré à l’humanité, la fraternité, la solidarité, comme si ces gens-là pouvaient y être sensibles. Des personnes qui se rient de la soutane et moquent les disciples les plus fervents. Des impies qui sont allés jusqu’à lui offrir de l’eau de vie, de l’eau de vie qu’il a avoué avoir trouvée délicieuse. Ah ! Le péché de débauche et de gourmandise !
Bref, après avoir évacué le gêneur, il fallait bien lui trouver un remplaçant, et pas un tendre, non ! Un homme de confiance, un missionnaire ! Un soldat de Dieu ! L’erreur n’était pas permise. L’évêché envoya donc sur place un représentant à l’antithèse du précédent curé.
L’abbé Benoît était issu d’un milieu modeste, celui-là descendait de l’aristocratie sans même avoir enlevé ses éperons. L’abbé Benoît portait dans une rondeur débonnaire les stigmates d’un âge avancé, celui-là était sec comme un coup de trique et manifestait l’arrogance de son rang et de sa jeunesse.
Quand les villageois le virent pour la première fois, ils sentirent bien qu’il y aurait une vraie rupture avec les anciennes habitudes paroissiales. Le jeune curé, n’avait qu’une brèche dans l’armure: il était petit, et le club des moures lui attribua illico un surnom qui lui collerait définitivement à la soutane : « Pétoulet ».
En fait, il s’appelait De la Rosière, et tenait à la particule, par respect pour mes aïeux disait-il, qu’à cela ne tienne, les culs rouges adaptèrent le surnom qui devint « De la Pétoule » et ils en riaient en pensant que ce jeune perdreau ne tiendrait pas le choc. Mais, le précieux émissaire de l’évêché n’avait pas dit son dernier amen.